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«Pourquoi j'abandonne...»
SORAYA HADDAD
Publié dans L'Expression le 10 - 10 - 2006

Elle est médaillée de bronze d'un mondial et pourtant elle n'a pas obtenu la considération qu'elle méritait.
Adulée et reconnue puis rejetée et oubliée. C'est la mé-saventure que connaît actuellement Soraya Haddad, la championne de judo qui vient de décider d'arrêter sa carrière internationale. Dans la majorité des cas lorsqu'on annonce qu'on se retire de la scène internationale, c'est parce qu'on est proche de l'âge de la retraite et qu'on a eu une carrière longue et bien remplie.
Pour ce qui est de Soraya Haddad, nous avons affaire à une jeune fille d'à peine 22 ans et qui a commencé à fréquenter les dojos internationaux, il y a à peine 5 ans. C'est dire que l'intéressée avait de la marge devant elle et lorsqu'on apprend qu'elle a été médaillée de bronze aux derniers mondiaux en Egypte en 2005, tant en individuel que par équipes. Deux titres pour lesquels Soraya a sacrifié son adolescence en se contraignant à un travail des plus durs et des plus harassants.
Dans une lettre ouverte au ministre de la Jeunesse et des Sports, dont elle nous a envoyé une copie, elle explique ce qui l'a amenée à prendre une décision aussi grave. «C'est avec un profond sentiment d'amertume que je décide, aujourd'hui, de m'ouvrir à vous pour vous dire toute la lassitude qui m'envahit et m'étouffe en réalisant que mon avenir est incertain», écrit-elle au ministre. «Cette prise de conscience douloureuse me préoccupe et m'empêche de me concentrer sur mes objectifs.» Elle explique ensuite qu'elle a tout sacrifié pour le sport et que son seul souci était de rehausser l'image de son pays sur la scène internationale, travaillant avec engagement et se surpassant malgré des moyens souvent minimes. Cela l'a amenée à abandonner famille et amis. Elle note alors: «Le remords d'être passée à côté de mes études me ronge quotidiennement. J'étais bonne élève et j'aurais pu décrocher le Bac puis suivre des études universitaires. Mais j'ai choisi de participer aux championnats du monde d'Osaka au Japon au moment où mes camarades de classe passaient leur Bac.» Cela l'a, donc, amenée à se consacrer exclusivement à la compétition de haut niveau avec la réussite que l'on connaît.
«Cependant, indique-t-elle, l'absence totale de perspective d'avenir me perturbe énormément et le faux espoir de voir mon problème pris en charge nourri par de nombreuses promesses non tenues, ne cesse d'user ma patience. Gagnée par le stress, j'ai peur de l'avenir.» Et Soraya d'ajouter: «Je ne vois rien venir, ni la possibilité de bénéficier d'une formation au sein d'un institut de sport pour obtenir un diplôme qui assurerait mon avenir professionnel, ni la chance d'une intégration dans le secteur de la jeunesse et des sports en qualité de fonctionnaire, qui mettrait fin à mon statut de chômeuse de luxe temporaire. Rien de tout cela ne s'est concrétisé malgré toutes les tentatives de me rassurer.» Le doute la ronge, l'incertitude la guette. «Comment voulez-vous que je puisse encore espérer un dénouement, écrit-elle, si mes responsables au niveau de la fédération et du ministère ne sont pas arrivés à m'aider depuis, maintenant, deux longues années et ce, malgré leur bonne volonté et leur grande estime à mon égard? Mon angoisse, quant à mon avenir, se trouve amplifiée par l'incertitude de réussir une carrière dans le sport de compétition de haut niveau à cause d'un grand nombre d'insuffisances et de perturbations liées à ma préparation:
-Les bourses de préparation nettement insuffisantes et n'arrivent jamais au moment opportun. Cette année, par exemple, comme à l'accoutumée, nous sommes au mois d'octobre et je n'ai pas encore perçu ma bourse de préparation destinée à la saison 2006, alors que l'année sportive est terminée.
-D'un autre côté, notre entreprise nationale Sonatrach, qui engage annuellement des dizaines de milliards pour soutenir le sport en général et les athlètes de haut niveau en particulier -ce qui l'honore beaucoup- n'a jamais daigné donner suite à mes nombreuses demandes de soutien à ma préparation.
Pourquoi ce mépris? Ne suis-je pas suffisamment algérienne pour le mériter au même titre que des centaines d'athlètes et associations? C'est tout simplement aberrant du fait que je suis actuellement élue et reconnue meilleure athlète algérienne, arabe et africaine.
Je ne comprends pas cette logique appliquée par Sonatrach qui est (comble de l'ironie) l'entreprise pour laquelle mon père a consacré 36 ans de sa vie en qualité de cadre supérieur». Même au niveau local, dans sa région, Soraya est déconsidérée. Ce manque de considération m'a poursuivie jusque dans ma région natale, fait-elle savoir. Une région à laquelle j'ai toujours été fidèle (je suis toujours signataire au club d'El Kseur dans la wilaya de Béjaïa), malgré les différentes sollicitations de clubs plus dotés. Je ne trouve même pas de mots pour qualifier l'humiliation que le wali de Béjaïa, de surcroît président du fonds de wilaya pour le sport, m'a infligée lors d'une cérémonie organisée en mon honneur en me gratifiant de la modique somme de 5 millions de centimes (50 000 dinars) en guise de récompense pour les résultats réalisés en 2005:
-Médaille d'or aux championnats d'Afrique
-Médaille d'or à la Coupe d'Afrique des nations
-Médaille d'or aux Jeux méditerranéens
-Médaille de bronze aux cham-pionnats du monde
-Médaille de bronze à la Coupe du monde des nations.
Cela m'a complètement abattue et il m'a fallu du temps pour dominer ce sentiment de frustration et d'indignation lié à ce malheureux épisode.
Soraya Haddad fait alors valoir son droit de rectifier la trajectoire de sa carrière eu égard au mépris affiché à son encontre.
«Dans ces conditions, y a-t-il possibilité de prétendre à la réussite? Comment voulez-vous que je puisse espérer assurer une carrière digne sans une réelle prise en charge? Les objectifs de haut niveau exigent une préparation de haut niveau qui à son tour, est subordonnée à des moyens de haut niveau. Par conséquent, je me vois dans l'obligation de prendre mon avenir en main avant qu'il ne soit trop tard. Aussi, j'ai décidé de mettre un terme à ma carrière internationale pour reprendre mes études et repasser le Bac. Toutefois, ma passion pour le judo étant très forte, je continuerai à faire de la compétition au niveau national seulement.»
Voilà, comment et pourquoi l'Algérie vient de perdre l'une de ses athlètes les plus douées, l'une de celles appelées à lui valoir beaucoup de satisfactions sur la scène internationale.
La petite Soraya a maintes fois fait retentir Quassaman dans des salles sportives de par le monde. En cela elle a plus fait pour l'Algérie que bon nombre de responsables, même politiques. Délaissée, elle a choisi de penser à son avenir car des sportifs laissés sur le carreau il y en a eu des tas dans notre pays.
Avec son départ de la scène internationale, le sport algérien perd l'un de ses plus grands espoirs.


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