Le discours de la civilisation qui devait servir souvent à légitimer la colonisation française n'a jamais cessé... Ce discours ressurgit comme un spasme de la maladie dont sont atteints tous les conquérants chassés (fut-ce, par exemple, après 132 ans d'occupation en Algérie!) et leurs affidés nouvelle vague, qui, eux aussi, succombant à la récurrence de certains souvenirs heureux extraits de la vie coloniale, brament leur délire à travers les hauts faits de civilisation introduite et implantée dans le pays dominé de «Là-bas». Oui, une certaine idée de la civilisation-colonisation avait été amplifiée et popularisée, à l'époque de la conquête, puis s'était instituée insidieusement dans l'intention fixe que «la colonisation, c'est-à-dire l'intervention de la civilisation chez les peuples barbares, sera à la fois un acte de justice morale, d'industrie et de science, [qui apportera aux colonisés] association, lumières et aisance (Le Globe, organe du saint-simonisme, 10 novembre 1831).» Or l'Histoire, toute l'Histoire, retient définitivement qu'en Algérie, la civilisation promise et jurée par la France aux Algériens de 1830 qu'elle avait du reste trop vite taxés de barbares à ce point de se charger de convertir, a été incontestablement conquérante, car cette «civilisation» a été inscrite depuis longtemps dans son projet de colonisation militaire. C'est justement ce point d'histoire qui est l'objet essentiel du livre Colonialisme, les crimes impunis que vient de publier Amar Belkhodja, ancien journaliste à El Moudjahid. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages traitant de sujets aussi importants que celui qu'il nous propose à la lecture aujourd'hui. Le présent ouvrage interpelle sans ménagement les Algériens; il a pleinement raison. Le temps passe, nous passons, nos jeunes grandiront dans l'ignorance de la véritable histoire de leur pays, des souffrances que le peuple de toujours a endurées à travers les différentes conquêtes et tout particulièrement à travers ce que l'on désigne enfin unanimement par guerre d'Algérie. L'auteur s'est investi dans un travail de recherche historique et de récupération logique et saine de ce qui est le droit de savoir et de dire les faits que d'aucuns s'épuisent en mauvaise foi pour rien reconnaître des méfaits du colonialisme. Belkhodja, preuves à l'appui (enquêtes, commentaires, documents écrits, témoignages,...), analyse avec la finesse du journaliste et historien professionnel, quelques-uns, parmi les plus sauvages, des crimes impunis du colonialisme. La dénonciation n'est pas seulement lancée à la face du tortionnaire, elle est décrite, je dirais décryptée à l'intention de ceux qui ne veulent rien voir ni rien entendre. Ne dit-on pas «seul ton ongle te grattera, et seul ton oeil te pleurera»? Il faut lire cet ensemble de reportages authentiques placés par Amar Belkhodja dans son ouvrage Colonialisme, les crimes impunis. La colonisation prend ici une nette signification: haine, mépris, racisme, injustice, répression, torture, agonie, mort. Le colonialisme n'envie rien à l'apartheid. Il faut lire ces forts chapitres: Zéralda, 1942, morts dans leur cellule I; Dechmya, avril 1948, la tuerie (pages noires du colonialisme); Mascara, 30 avril 1949, les tristes exploits des légionnaires... Les jeunes sauront ce que signifiaient à l'époque coloniale: colonialisme et racisme. «Sans pudeur, on continue de nous gaver de paternalisme de l'autre côté de la Méditerranée» est bien la juste conclusion de Amar Belkhodja à son délicat et respectable travail.