Des surfaces de plus en plus grandes sont consacrées aux cultures spéculatives, au détriment de légumes de première nécessité. Pourquoi l'orange produite localement coûte-t-elle plus cher que la banane importée de Colombie? Et pourquoi la pomme de terre, ce plat du pauvre, a-t-elle poussé des ailes en ce mois de Ramadhan? Mettons de côté la spéculation et le rôle joué par la mafia, pour interpeller les pouvoirs publics. N'est-il pas dans leur cahier des charges de réguler le marché? D'approvisionner la population en produits de première nécessité? Il avait été décidé au début des années 90 de ne pas fixer administrativement le prix des fruits et légumes en laissant jouer la loi de l'offre et de la demande, est-ce pour autant l'heure du capitalisme sauvage, genre tag ala men tag! Que les plus forts dévorent les plus faibles. Est-il encore besoin de se gargariser de ces grands mots de République et de Démocratie, des notions incapables de protéger le pouvoir d'achat des plus démunis, et surtout des couches sociales les plus larges?. Il est temps sans doute d'établir des prévisions pour un produit de large consommation comme la pomme de terre, et surtout de l'intégrer dans la nomenclature restreinte des produits surveillés de près par l'Etat, comme le blé et le lait. Certes, les mercuriales complaisamment affichées sur les murs des marchés couverts et reproduites par les journaux ne reflétaient pas la réalité des prix. Il fallait mettre un terme à une pratique mensongère qui pénalisait les consommateurs, en discréditant les pouvoirs publics. Il n'y a donc plus de mercuriale, mais les consommateurs sont toujours abusés: le maquillage des produits est une pratique courante. Les fruits et légumes exposés en surface cachent en dessous du cageot des produits avariés ou tout au moins de mauvaise qualité. Et encore, ce n'est là que la partie visible de l'iceberg. Les commerçants ont tous appris la pratique du stockage; on cache un produit pour créer un phénomène de pénurie et on le sort au bon moment en augmentant considérablement les prix et en engrangeant des bénéfices faramineux. Par conséquent, la situation actuelle du marché des fruits et légumes, caractérisée par l'anarchie, relève tout autant de la responsabilité du ministère de l'Agriculture, qui doit veiller à la surface consacrée à la culture de la pomme de terre, ainsi qu'à la qualité des semences, que de celle des instances chargées de lutter contre la fraude, depuis les grossistes qui stockent des produits jusqu'aux détaillants qui s'adonnent au maquillage. Parce qu'il faut bien qu'on nous explique une chose: l'économie de marché qu'on prône est-elle à l'avantage des consommateurs (et des producteurs par voie de conséquence), ou bien est-elle faite uniquement dans le dessein d'enrichir encore plus les spéculateurs? Le grand hic, c'est que dans tout ça, des quantités importantes de pommes de terre sont détruites ou jetées à la mer, pour maintenir des prix élevés, alors même que des surfaces de plus en plus grandes sont consacrées aux cultures spéculatives, au détriment de légumes de première nécessité. Ce sont des questions sur lesquelles le législateur pourrait légiférer pour soustraire un produit aussi vital aux griffes des spéculateurs, n'est-ce pas? Ironie du sort, on ne sait pas s'il faut prendre à la lettre cette déclaration sibylline: «La réforme du secteur agricole en Algérie commence à porter des fruits». La petite phrase est de M.Saïd Barkat, ministre de l'Agriculture. Comme quoi, il y a des fruits sur les branches de la politique mais pas sur celles des arbres. Ce sont donc des fruits virtuels et tout en saveur spirituelle.