Lorsque la panique est à son apogée, les policiers tirent à bout portant sur des civils sans défense. Le gouvernement français décide d'instaurer le couvre-feu sur la région parisienne pour les seuls Maghrébins. Le FLN, dont les activités se déroulent dans la nuit, s'est retrouvé coincé par cette mesure très contraignante. La Fédération de France du FLN prend une décision autant surprenante. Elle décide d'organiser une grande manifestation à Paris pour sensibiliser, d'une part, l'opinion publique française et, d'autre part, prouver que le FLN n'est pas un ramassis de gueux. Le FLN voulait faire une démonstration de force grandeur nature à Paris. Au matin du 17 octobre 1961, les foules se déversent sur Paris: hommes, femmes et enfants marchent en brandissant les slogans du FLN. Les instructions ont été fermes: ne pas répondre à la provocation. Le Gpra, en négociations avec le gouvernement français, a laissé faire la Fédération de France du FLN en attendant pour juger sur les résultats. La machine répressive s'est mise en branle. Les policiers frappent au hasard sur la foule, ciblent les têtes. Lorsque la panique est à son apogée, les policiers tirent à bout portant sur des civils sans défense. Un véritable carnage est en cours dans un automne parisien. On jette les gens dans la Seine, on leur fracasse le crâne, on arrête 15.000 personnes en une seule journée. Le bilan est humiliant pour la France des valeurs universelles et des droits de l'homme. Le lendemain, les journaux titrent sur la manifestation du FLN en plein Paris. Les massacres prennent le dessus sur les commentaires. L'opinion publique française et internationale découvre le FLN: un FLN capable de mobiliser des dizaines de milliers de personnes à Paris. Ce n'est point un Front de hors-la-loi comme il était présenté jusque-là mais il s'agit bel et bien d'un courant politique représentatif de la société algérienne. Des pétitions sont signées. Les intellectuels réagissent. Certains journaux posent les bonnes questions. Tant que la guerre se déroulait là-bas, loin des Champs Elysées, la question algérienne n'intéressait personne. Mais lorsqu'elle entre avec fracas dans le débat franco-français, elle devient une affaire vitale pour le devenir même de la France. Les ultras qui ont amené de Gaulle ont tenté un putsch pour le renverser. La question algérienne pose le problème français dans toute sa dimension. Désormais, le processus des négociations entre dans sa phase irréversible qui conduira aux accords d'Evian et au référendum de juillet 1962. L'Algérie est libre et indépendante, après 132 années de colonialisme inhumain, de spoliation, d'exploitation, de dépossession, d'acculturation...Quarante-cinq années plus tard, la droite revancharde n'a pas encore fait le deuil de l'Algérie perdue à jamais. Elle vote une loi glorifiant le colonialisme en Afrique du Nord. En même temps, elle demande à la Turquie de reconnaître le «génocide arménien» et vote une loi condamnant la «négation» de ce génocide. Les acteurs des événements d'octobre 1961 ne sont pas surpris. «Nous savons ce qu'a fait de Bourmont dans la Mitidja. Nous savons où est passé le trésor d'Alger. Nous savons ce que nous a amené le code de l'Indigénat», répondent-ils. Ils n'attendent rien d'une France officielle qui n'a pas encore assimilé les leçons de l'histoire. Les Algériens doivent, dès à présent, revoir les manuels scolaires pour mieux immuniser les générations futures contre l'amnésie. Ce sera la meilleure réponse aux provocations des attardés de l'histoire.