C'est à un procès inédit auquel nous avons été appelés à assister hier. Le juge a prononcé, hier, de lourdes peines à l'encontre du directeur de publication d'Echourouk, Ali Fodil, et de la journaliste Naïla Berrahal dans le procès intenté par le Guide de la révolution libyenne, Mouamar Kadhafi, à la suite de la publication de deux articles de presse dans l'organe arabophone au mois d'août dernier traitant de la réaction hostile des Touareg algériens au projet du grand Etat sahélien imaginé par la direction politique de la Libye. La sentence est tombée à 17h. Surprise. Six mois de prison ferme pour les deux accusés plus une amende de 20.000DA et la fermeture du journal pour une durée de deux mois assortie de 500.000DA de dommages et intérêts; tel est le jugement rendu en première instance. Condamnation, faut-il le rappeler qui n'est pas exécutoire. C'est à un procès inédit auquel nous avons été appeler à assister, hier, au tribunal d'Hussein Dey, opposant deux journalistes du quotidien arabophone Echourouk au Guide de la révolution libyenne, le colonel Mouamar Kadhafi. Le directeur de la publication et la journaliste ont été poursuivis en justice pour diffamation et injure dans deux articles publiés au mois d'août dernier traitant de la réaction hostile des Touareg algériens de Tamanrasset et des environs au projet initié par la direction politique de la Jamahiria de créer un Etat sahélien à cheval entre trois pays de la région, à savoir l'Algérie, le Mali et le Niger. Un projet évoqué lors de la cérémonie de célébration du Mawlid ennabaoui (naissance du Prophète Qsssl) à Tombouctou (Mali) par M.Mouamar Kadhafi, lui-même, qui a appelé à l'unité des Touareg de tous les pays. Sujet largement commenté par la presse internationale habituée à ce genre de sorties politiques de la part de l'imprévisible leader libyen. 14h30. Salle d'audience du tribunal du quartier populaire d'Hussein Dey. Le public: des citoyens ordinaires venus assister au passage à la barre de l'un de leur proches, sont conviés à un débat de politique internationale de haute voltige. Les journalistes présents pour couvrir l'événement ne dépassent pas la dizaine. L'affaire ne semble pas emballer la presse nationale. Dans cette salle exiguë, on traite d'un dossier d'une portée qui semble dépasser le décor planté. Les deux avocats chargés de défendre les journalistes, Me Benbraham et Berghel ont, dès l'entame du procès, engagé une bataille procédurale pour mettre en exergue le vice de forme. Le procès en citation directe demandé par la partie plaignante se base sur deux accusations lourdes, à savoir injure et diffamation contre un chef d'Etat. La faille se trouve aux yeux de Me Benbraham et Berghel dans le fait que l'article 357 du code pénal s'applique à la diffamation, et pas à l'injure. Dans ce cas de figure un accord express doit accompagner l'application de cet article, car il ne prévoit pas l'injure. Ce qui n'est pas le cas puisque la requête déposée par la partie plaignante est jugée recevable par le tribunal. La défense est stoppée net. Même la demande faite par Me Benbraham de reporter le procès pour permettre à la défense de verser des pièces étayant la plaidoirie sera jugée inopportune par le juge réconfortant ainsi son interlocuteur en lui annonçant qu'il prendra en considération toute pièce justificative à décharge de l'accusé mentionnée. Vraisemblablement, il apparaît, dans les déclarations du magistrat, une volonté d'aller au bout du procès. Interrogé par le juge sur le contenu des articles incriminés, les deux journalistes informent l'assistance qu'il s'agit de témoignages recueillis auprès de dignitaires de la communauté targuie dont Lalla Hacina et l'Amonekal des Touareg, autorités morales respectées faisant fonction de guides politiques dans la région. S'ensuivit un débat passionnant sur les principes fondamentaux régissant le métier de journalistes et la sacro-sainte liberté d'expression. Une interrogation lourde de sens est lancée, dans la foulée, par Me Benbraham, dans sa brillante plaidoirie qui évoquera une récente clause introduite dans la jurisprudence universelle en matière de délits de presse, «l'expression de vérité», qui autorise le journaliste à relater les faits tels qu'ils sont. Une autre piste sera explorée par la défense qui s'est demandée pourquoi les autorités algériennes ne se sont-elles pas souciées des informations contenues dans les articles considérés par le Guide de la révolution libyenne comme étant une atteinte à la sécurité de son pays et à celle de l'Algérie. L'autre interrogation soulevée par cette même défense porte sur le silence de l'ambassadeur de la Libye qui n'a pas été chargé officiellement de prendre en charge un tel dossier qui relève du domaine de la diplomatie, de la relation bilatérale et des affaires étrangères. Une façon d'attirer l'attention du juge sur le caractère politique de l'affaire qu'on veut faire passer pour un sujet qui relève du code pénal. Dans son intervention, le collectif d'avocats de la partie civile a tout fait pour recentrer le débat sur les chefs d'accusation qui entrent dans le cadre des articles 296, 297 et 298 du code pénal algérien et les articles 3 et 97 du code de l'information régissant la fonction de journaliste. Des articles qui traitent des atteintes portées contre les chefs d'Etat. Pour les avocats de la partie civile, les articles sus-cités comportent des termes et des allégations qui touchent à la personne d'un chef d'Etat d'un pays voisin et partant de là, ils demandent des excuses officielles de la part du journal et un démenti à faire paraître dans dix organes de presse nationaux, en plus de 50 millions de dinars comme dommages et intérêts que le Colonel El Kadhafi a recommandé de verser aux associations caritatives algériennes. Une générosité qualifiée de mal placée par Me Benbraham qui usera d'un dicton populaire local pour stigmatiser l'intention de la partie plaignante: «min lahiato bekharlou». Quant à Me Berghel, il mettra l'accent sur le courage de la jeune journaliste qui est allée au fin fond du Sahara algérien pour porter à la connaissance des Algériens des vérités crues. Ce qui symbolise à ses yeux, l'esprit de responsabilité et l'amour de la patrie dont a fait preuve cette jeune Algérienne qui matérialise les principes contenus dans la déclaration du 1er Novembre, date sacrée qui coïncide avec la tenue du procès, dont l'issue sera à contre-courant des attentes des journalistes jugés. Me Khaled Berghel a dénoncé un «procès politique et un jugement politique», estimant que cette condamnation était «excessive et démesurée». Le directeur de la rédaction du journal, Anis Rahmani, était «choqué et surpris» par cette condamnation. «On ne s'attendait pas à une telle peine», a-t-il ajouté, soulignant que «le tribunal n'a pas écouté les Touareg cités comme témoins par la défense». Le collectif de défense a décidé, aussitôt après l'annonce du verdict, d'interjeter appel.