Ils discutent à bâtons rompus -dans le style Bahdja- du tumulte qui les a bousculés pour en faire des héros. Des gens ordinaires, pas nécessairement politisés, inconscients du rôle qu'ils allaient jouer, se sont retrouvés entraînés dans le tumulte de la guerre. Ils étaient artistes, artisans, ouvriers, souvent sans emploi fixe, à l'image des personnages de Nedjma, des êtres déchirés, sans espoir de rêver de lendemains prometteurs. Arbadji était scout au moment du déclenchement de la Révolution. Habib Rédha était artiste. Mellal était prisonnier -professionnel, j'allais dire. Boualem Oussedik était étudiant. Les voilà à présent rassemblés dans le centre Aïssa Messaoudi, de la Radio nationale, pour évoquer ces moments de vive émotion au Forum de radio Bahdja. Ils discutent à bâtons rompus -dans le style Bahdja- du tumulte qui les a bousculés pour en faire des héros. Ils représentent l'échantillon des Algérois, ou d'un peuple qui, à grande dimension, a pris à bras-le-corps la Révolution en marche. «On nous a inculqué le nationalisme par les sketches ou les cours que dispensaient des médersas des Ulémas; on apprenait les chants patriotiques et on s'imprégnant ainsi de notre cause», indique Arbadji. «On ne connaissait ni les messalistes, ni les centralistes, on connaissant seulement le nationalisme. La France avait répandu l'utilisation des drogues dans les cafés d'Alger pour nous endormir, mais la prise de conscience des jeunes était plus puissante», ajoute-t-il quand la mémoire se déchaîne et livre son flux torrentiel. «Krim et Ouamrane sont venus chez nous en blouses grises de Marseille puis Yacef est venu les prendre chez Abderrahmane Arbadji pour les héberger...c'est Rabah Lakhdar qui a présenté Moufdi Zakaria à Abane», ainsi des bribes sont jetées ainsi sur le plateau tant l'émotion du souvenir est forte. Oussedik, qui faisait partie de la zone autonome d'Alger (ZAA), évoque la Bataille d'Alger. «Elle a soulagé les maquis qui étaient pris en tenaille par l'armée française et ses supplétifs», dit-il. «On a eu la chance d'être torturés par les gardes-mobiles», reprend Youcef Mellal. «Ils nous ont ensuite ramené des torturés qui avaient des tatouages faits au couteau le long du corps avec l'inscription ‘'Vive la France'' puis deux autres avec des piquets pointés dans les mollets. Ces torturés-là n'ont pas eu de veine, ils sont passés chez les vrais bourreaux...Quand on nous a transférés à Berrouaghia, on a été aussitôt pris en charge par les comités de détenus, on était donc dans ‘'L'organisation''. Il y avait parmi nous des artistes, des infirmiers, des profs, etc.; d'ailleurs, c'est là que j'ai appris l'anglais. Puis on nous a transférés dans ‘'Le camp de la mort'' à Tadmaït». Des tranches d'histoire sautent, éclatent, puis se tassent et se recoupent, s'entrecroisent parfois, pour constituer petit à petit le puzzle. L'évocation du 1er Novembre 1954 stimule la mémoire pour tous ceux qui étaient à la fleur de l'âge et qui ont connu, pour la plupart, les viles atrocités ou sont morts dans l'anonymat pour arracher la liberté.