Quoique attendu, le verdict du Haut tribunal pénal irakien constitue un véritable tournant politique en Irak. La sentence est tombée hier, l'ancien président irakien, Saddam Hussein, et deux de ses coaccusés, son demi-frère, Barzan Ibrahim Al-Tikriti, ancien chef des renseignements à l'époque des faits jugés, et l'ex-président du tribunal révolutionnaire, Awad Ahmed Al-Bandar, ont été condamnés à mort «par pendaison» par le Haut tribunal pénal irakien, Htpi, spécialement créé par l'ancien administrateur américain, Paul Bremer, pour juger les hautes personnalités du régime baassiste déchu impliquées dans les génocides et crimes contre l'humanité commis envers leur peuple. L'ancien vice-président irakien, Taha Yassine Ramadan, a été, pour sa part, condamné à la prison à perpétuité. Ces anciens dirigeants du régime du Baas, étaient accusés de la responsabilité de «l'exécution» de 148 villageois de Doujaïl, localité chiite au nord de Baghdad, en représailles à un attentat contre le cortège de Saddam Hussein qui eut lieu au début des années 80. La condamnation à la peine capitale de Saddam Hussein marque, en fait, la véritable fin d'une époque en Irak, sans doute plus encore que ne l'a fait l'invasion américaine du 19 mars 2003 et la chute du régime baassiste le 9 avril 2003 qui s'en est suivie. Il ne faisait aucun doute que le verdict ne pouvait être que celui de la peine capitale au vu des charges retenues contre l'ancien président irakien et ses co-accusés, lesquels ont eu la main lourde dans la répression de l'opposition et des populations irakiennes, notamment kurde et chiite. Toutefois, d'aucuns s'interrogent sur la date choisie pour rendre public le verdit, à quarante-huit heures d'une importante échéance électorale pour l'administration Bush. Alors que l'administration républicaine -largement dépassée dans les sondages pour le scrutin du 7 novembre qui doit donner lieu au renouvellement de la Chambre des représentants et du Sénat et à une partie des gouverneurs- court vers un retentissant fiasco électoral qui mettrait à mal la majorité du gouvernement du président George W.Bush, l'annonce de la sentence condamnant Saddam Hussein à la peine de mort est estimée comme un cadeau offert à Bush qui y trouvera une sorte d'issue à sa politique irakienne, aujourd'hui unanimement condamnée par l'opinion publique américaine. Cela dit, la condamnation de Saddam Hussein est en fait en phase avec la manière autoritaire avec laquelle l'homme fort de Baghdad dirigea l'Irak de 1979 jusqu'à sa chute en 2003. Celui-ci n'a pas toujours eu de la mansuétude pour son peuple, il est patent qu'il ne pouvait en attendre aujourd'hui de la part de ses juges. Mais il reste toutefois que Saddam Hussein n'est pas n'importe qui et que, d'une manière ou d'une autre, il représente toujours, pour nombre d'Irakiens, une figure emblématique de la nation arabe pour l'unité de laquelle l'ancien président irakien s'est totalement investi. Ce qui a fait dire à son principal avocat, Me Khalil Al-Doulaïmi, en guise de mise en garde dans une lettre au président américain George W.Bush, que «la condamnation à mort (de Saddam Hussein) mettra l'Irak à feu et à sang et mènera la région vers l'inconnu» estimant que «la seule solution pour sauver l'Irak, la région et le monde était de libérer Saddam Hussein». En rendant le verdict d'une condamnation à mort par pendaison, les juges du Haut tribunal pénal irakien ne sont pas entrés dans ces sortes de spéculations quant aux éventuelles retombées de la condamnation de l'ancien homme fort de l'Irak. Une condamnation d'un haut responsable politique qui est en fait une première dans le monde arabe. Même si tout au long du procès, et singulièrement hier lors de la lecture du verdict, Saddam Hussein a usé des habituelles manoeuvres de diversion, il n'en paraissait pas moins quelque peu ébranlé à l'énoncé de la sentence. Sans doute ne croyait-il pas vraiment à un tel châtiment, mais une fois la sentence tombée, l'ancien président irakien apparu visiblement secoué et a dû comprendre qu'une page de sa vie est bel et bien tournée. Pour la petite histoire, notons que Saddam Hussein a été aussi condamné à deux peines de prison de 10 ans chacune, respectivement pour «crime contre l'humanité» et «déplacement de population». Ce qui n'ajoute rien en fait au sort qui l'attend. Hier, il y eut peu de réactions en Irak à la suite de la condamnation de Saddam Hussein et de ses coaccusés. Toutefois, selon des agences de presse, des manifestations eurent lieu dans la région de Tikrit, fief de l'ancien président, où une foule composée de femmes, d'enfants et de membres de tribus, a manifesté en criant «Avec notre sang, avec notre âme, nous nous sacrifions pour toi Saddam», slogan qui accompagna en fait Saddam Hussein tout au long de ses années de règne.