On ne parle d'un roman arabe que par rapport à son origine et à la société dans laquelle il a émergé. Existe-t-il un roman, à proprement parler, arabe? La problématique est de taille. S'y hasarder sans être connaisseur, conduit directement à la perte de tous ses repères. Se monter réticent, à la limite de la lâcheté, enfonce de plus en plus dans les abysses insondables de l'ignorance. Que faire dans ce cas? Eh bien, il vaut mieux écouter les spécialistes. Ceux qui, du moins, ont pu récolter, tout au long de leur vie, quelques brins de connaissance sur ce vaste océan qu'est la littérature arabe. En somme, c'est un sujet qui mérite qu'on s'y attarde. Et c'est pour cette raison même que nous avons tenu jusqu'au bout à la conférence donnée, avant-hier, au Salon international du livre d'Alger. Les intervenants (Mohamed Sari, Jolada Guardi (Italie), Youcef Tawfik (Irak) et Waciny Laâredj) ont débattu de la question. Les conférenciers soutiennent que la langue n'est pas un critère pour classer le roman dans une catégorie. Et puis, on ne parle d'un roman arabe que par rapport à son origine et à la société dans laquelle il a émergé. Ainsi, si des écrivains arabes ont choisi d'écrire en langue française, italienne, anglaise ou autre, cela ne signifie pas qu'ils sont Français, Italiens ou Anglais. Cela, d'autant plus que les sujets qu'ils abordent sont directement en rapport avec les sociétés arabes. Prenant l'exemple des écrivains algériens d'expression francophone, disons que la langue ne leur sert que de support pour rapporter le vécu de leurs sociétés. En ce sens, Waciny Laâredj a indiqué que cette littérature n'est française que sur le plan linguistique. Il soutient, de ce fait, qu'à l'intérieur de l'objet linguistique de ces romans, «une certaine algérianité» transparaît à travers leur lecture. Pour étayer ses dires, le conférencier cite l'oeuvre de deux piliers de la littérature algérienne, Mohamed Dib et Mouloud Feraoun. Il a expliqué, à cet égard, que Mohamed Dib a intégré, à travers sa trilogie et ses autres romans, des formules que seuls des Algériens ont la capacité de comprendre. Et cela peut être démontré à la lecture des oeuvres qui sont traduites vers la langue arabe. Le lecteur constate, en effet, que certaines expressions sont typiques au dialecte tlemcénien. Ce constat est le même pour ce qui est des oeuvres de Feraoun, dans lesquelles la particularité kabyle est manifeste. Waciny a relevé une sorte «d'interpénétration linguistique dans le français de la majorité des auteurs algériens d'expression française dont l'âme de leurs oeuvres est caractérisée par une algérianité remarquable». Il a estimé qu'en fin de compte, la langue «n'est pas un critère suffisant» pour pouvoir classer une oeuvre dans telle ou telle catégorie. Cet avis est d'ailleurs partagé par l'écrivain irakien d'expression italienne, Youcef Tawfik. Ce dernier pense que la langue d'écriture d'un écrivain, qu'il soit arabe ou étranger, «n'est qu'un moyen d'expression et non un critère de classement». Le conférencier cite comme exemple l'oeuvre d'Assia Djebar qui, a-t-il déclaré, «traite des sujets relatifs à l'Algérie avec une langue étrangère, sans pour autant classer ses oeuvres dans le roman français». Evoquant son cas personnel, M.Tawfik a classé ses oeuvres dans le roman arabe, «même si elles sont écrites en langue italienne, à partir du moment qu'elles s'inspirent de la pensée et de la situation arabes». Il a ajouté que la langue italienne représente pour lui un moyen visant à «imposer» sa culture aux lecteurs italiens et relever le défi de «démontrer sa capacité d'écriture dans une langue étrangère». Par ailleurs, les participants à cette rencontre ont évoqué le parcours du roman arabe, à travers les différentes étapes de l'histoire, passant par l'époque ottomane, les deux guerres mondiales pour arriver aux guerres du Golfe et au conflit israélo-palestinien. Waciny Laâredj a tenu à signaler, en ce sens, que «le roman arabe existe depuis la nuit des temps» et qu'il a traité une multitude de sujets dont certains constituaient des tabous, pas uniquement à partir de l'année 1914, date de l'apparition du roman Zeïneb de l'écrivain égyptien, Mohamed Hassanaïne Haïkal. En outre, l'auteur du Livre du prince, a rappelé le contexte dans lequel ladite oeuvre, tout comme celle du Syrien, Al Kawakibi (1848-1902), a été écrite. C'était, en effet, l'époque où les gouvernements arabes, bénéficiant de l'assistance des puissances occidentales, imposaient leur dictature. Les caractères dictateur et monopolisateur de ces gouverneurs «ont causé l'étouffement de plusieurs oeuvres». On cite en ce sens le livre Tabaii el istibdadd (Les caractéristiques de la dictature) d'El Kawakibi. Waciny Laâredj a conclu que la naissance du roman arabe a «bien démarré mais a vécu une cassure en milieu de chemin, due essentiellement à la censure».