Le romancier pose des questions sans y répondre, le sociologue conceptualise les réponses. Wadi Bouzar nous propose un bouillon de culture, trop bouillon, sous la forme d'un essai intitulé Roman et connaissance sociale (*). Professeur des universités et auteur de nombreuses études sur la culture et la société et d'un roman Les fleuves ont toujours deux rives, ce professeur des universités s'intéresse à l'insondable et inusable problématique qui laisse infiniment rivaux sociologues et romanciers. Il se donne ici pour tâche essentielle de «contribuer à mettre davantage en évidence l'apport du roman en tant que mode de connaissance du social. Telle sera l'idée directrice de ce travail: montrer qu'on peut acquérir ou approfondir des connaissances sur tel ou tel type de société en nous référant à quelques auteurs qui traitent des romans et qui parfois en écrivent eux-mêmes». L'engagement est ferme et l'essayiste va droit au but. Tout en se référant au constat du sociologue Pierre Bourdieu qui relève chez les romanciers «des expériences sociales» et à d'autres conclusions émises par des spécialistes (Lassave, Boudon, Caillois, Barthes,...), il expose ses propres remarques sous forme de questionnement et tente d'y répondre: «Pourquoi le roman est-il tellement concerné par le social? Pourquoi le social y est-il inclus? On ne saurait isoler le rôle et la fonction du romancier de leur contexte. L'auteur d'un texte appartient à la société et y reste plus ou moins immergé. Ceci revient à dire que l'écrivain est d'abord un homme comme les autres, autrement dit ´´un être social´´. Le romancier, membre de la société, en vit les problèmes, y est inévitablement confronté.» Evidemment! Nul n'écrit pour soi. Notre littérature foisonne d'exemples concrets où nos auteurs «disent» la société où ils sont complètement «immergés». Wadi Bouzar a bien observé dans son travail que «le romancier est particulièrement sensible aux problèmes que, vivant dans la société, il y rencontre, il y observe et dont il souffre. Peut-être que cette sensibilité est-elle plus vive chez l'écrivain que chez d'autres artistes.» Peut-être a-t-il, lui-même, transcrit un certain vécu dans son propre roman Les fleuves ont toujours deux rives. Peut-être cette expérience personnelle lui a-t-elle fait comprendre combien «tour à tour, un peu comme le sociologue, le romancier sera relativement dans et hors le social». En réalité, ce n'est pas là une découverte sensationnelle, encore moins un scoop, aujourd'hui. Au reste, ce scoop, l'a-t-il jamais été? L'immense Victor Hugo, dans sa préface aux Contemplations, a pu écrire en généralisant: «On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas? Ah! insensé, qui crois que je ne suis pas toi !» Voilà une citation que tous nos écrivains, comme tous les écrivains dans toutes les langues et à toutes les époques, depuis que le scribe existe, depuis que l'écrivain existe, depuis que le kâteb existe, en font la leur, car «les images et les mythes» sont naturellement fixés par l'expression orale et l'expression écrite. Wadi Bouzar rappelle, à raison, par exemple, que «dans la littérature arabe, la maqama ou séance est à l'origine du roman». Son travail traite, dans une première partie des «origines du roman, genre tardif mais qui s'est révélé d'une sûre vitalité jusqu'à nos jours» ; dans une seconde partie «des conceptions de plusieurs auteurs, de Germaine de Staël à Hans Robert Jauss». La démonstration est brillante ; elle intéressera beaucoup ceux qui écrivent et ceux qui voudraient écrire et évoque «quelques notions utiles à une lecture du roman». Cependant, le lecteur algérien ne manquera pas d'observer que toutes les analyses de Wadi Bouzar portent sur un échantillon d'oeuvres littéraires autres qu'algériennes, celles-ci, pourtant, «se réfèrent à des éléments de la vie sociale». Je n'ai pas de réponse précise à cela.