La trame de la vie collective est tissée par des élites qui jouent à chaque étape de son évolution un rôle majeur selon les circonstances. Elles agissent d'après des projets et des idées qui leur servent de guides. Suivant la pertinence de ces «guides» et des choix qu'elles font, leurs plans progressent ou piétinent. Depuis 1962, notre pays a réalisé des avancées décisives, mais sa dynamique a été contrariée par maintes décisions absurdes. Parmi les élites impliquées, les hauts fonctionnaires figurent en première ligne en raison du rôle de l'Etat dans la société. Aussi, les progrès ou le déclin dont sera qualifiée par les historiens du futur l'étape 2024-2029 resteront-ils en bonne partie leur oeuvre. Ce sont eux qui stimuleront l'essor ou causeront la stagnation. Leur efficience dépendra de leur dévouement et de leur compétence, mais aussi du soutien moral dont ils bénéficieront, c'est-à-dire de la manière dont la société et ses institutions honorent leurs serviteurs. De qui s'agit-il dans ces lignes? Il s'agit des walis et des ambassadeurs que le gouvernement met en avant. Les premiers qu'on a déjà évoqués (L'Expression du 25/11/2024) agissent sur le front intérieur sous les yeux de tous. Les seconds, peu médiatisés, jouent néanmoins un rôle de premier plan, exerçant leur métier au service de l'Etat sur le front extérieur. Ils partagent avec les walis le sens des enjeux étatiques, ainsi que le devoir d'informer le pouvoir central et d'appliquer les politiques qu'il initie. Et si le corps des walis baigne dans la conjoncture intérieure qu'il aborde avec des outils juridiques propres à l'administration, il en va différemment pour le corps diplomatique qui évolue au beau milieu des processus transnationaux avec des outils plus complexes pour faire valoir les intérêts nationaux au sein d'une société internationale où la souveraineté externe des Etats pèse autant, sinon davantage, que la souveraineté intérieure des peuples. L'Algérie a adhéré à l'ONU le 8 octobre 1962, mais son action diplomatique à titre étatique date d'au moins 1579 (E. Plantet, 1889). Elle s'est interrompue en tant que telle avec l'invasion coloniale (1830), tout en continuant dans le cadre de la résistance à l'occupation (1830-1847 et 1919-1950). Elle a repris hardiment avec la Révolution à la conférence de Bandung (1955), et s'est poursuivie avec la Délégation extérieure du FLN (1955), puis le CCE et le GPRA (1956-1962). D'entrée de jeu, une «diplomatie de guerre» empirique s'est mise en place sous la houlette de M.Khider et ses compagnons exilés (cf. A. Kiouane, 2000). Destinée à faire connaître au monde extérieur la cause algérienne, elle s'étoffera graduellement en un réseau actif impulsé dans plusieurs capitales par B. Krim (1960-1962). Le tournant de l'indépendance impliquait l'élaboration d'une nouvelle doctrine de référence assortie d'un répertoire de connaissances. La doctrine s'ancrera dans trois Chartes et cinq Constitutions dont le pays s'est graduellement doté. Quant aux savoirs et savoir-faire, nos diplomates les amasseront au fil des formations théoriques et au plus fort de la pratique du métier. Les premières épousent les dimensions du système international et ses évolutions. Elles fournissent une grille de compréhension des dynamiques géopolitiques via des sujets de base comme le système westphalien (1648); les impérialismes et les vagues de la mondialisation; les constantes de la vie internationale, ses normes, ses défis et ses enjeux vitaux; les approches doctrinales de la politique étrangère; les spécificités de la société internationale, ses composantes et ses acteurs; les causes des conflits, rivalités et alliances entre Etats; le rôle de miroir de la politique intérieure pour l'action extérieure; l'incidence avérée de l'économie...(cf. J.J. Roche, 2001). Quant à la pratique du métier, elle dévoile les mécanismes et les «règles dont l'articulation se trouve chez les maîtres du genre» (R. Girard, 2017) qui les glanent dans l'Histoire; la géographie; la géopolitique; la psychologie politique... Elle mène à faire la part du pragmatisme et des principes moraux, de la raison et de l'émotion, du sang-froid et du désarroi, de la réflexion et de l'impulsivité. Bref, autant d'éléments qui reflètent «les exigences contradictoires du souhaitable et du possible, du réalisme et de l'aspiration, de l'immédiat et du profond» (J. Bonnafont, 2022). Nos diplomates le savent qui ont permis à l'Algérie de jouer un rôle phare de force inspiratrice du Sud global dans sa lutte pour la dignité et d'être longtemps écoutée. Et ce à maintes reprises, comme par exemple en 1973 (accueil du 4e Sommet des pays non alignés); en 1974 (présidence de la 29e session de l'AG de l'ONU); en 1975 (règlement du contentieux frontalier Iran-Irak); en 1981 (libération des otages américains retenus en Iran). Aujourd'hui, de nouvelles stratégies sont à l'oeuvre autour de nous. Elles ne se fient qu'à la force des armes et de l'argent et s'appuient sur une éthique réaliste, des alliances et des prétentions avérées à l'hégémonie sur l'espace arabo-sahélien où une logique de déstabilisation des Etats souverainistes bat son plein. Ce qui met le secteur concerné entre l'enclume des certitudes nationales et le marteau des mutations mondiales, l'obligeant à méditer sur le pari d'une diplomatie innovante pour ne pas trébucher. H