Profitant de son passage au 11e Salon du livre, Shamy Chemini livre aux lecteurs de L'Expression, cet entretien dans lequel il parle de l'écriture et de son dernier roman, ainsi que sur le groupe légendaire du Rock Kabyle Les Abranis. L'Expression: Vous venez de signer votre dernier roman, Fiancée du Soleil, lors d'une vente-dédicace à Tizi Ouzou. Pouvez-vous le présenter au lecteur? Shamy: A travers ce roman, j'ai essayé de faire un clin d'oeil sur la femme algérienne en général et la femme kabyle en particulier, et ce, par rapport au code de la famille et certaines traditions conservatrices complètement dépassées. Je raconte l'histoire d'une jeune fille, Lunja, qui a vécu 11 ans en France, avant que ses parents ne décident de rentrer au pays, en Kabylie, pour s'y installer. Elle était ravie de découvrir tous les villages de la Kabylie et de connaître toute sa grande famille. Quelques années plus tard, la liberté de mouvement de Lunja se réduit. A l'âge de 13 ans, il ne lui restait que deux lieux dans lesquels elle avait le droit de se retrouver: l'école et la maison. Ce n'est plus la France. Donc, elle commence à découvrir l'autre visage de la société et ses traditions. Ensuite, elle se retrouve prisonnière dans la demeure familiale. Elle commence à poser des «pourquoi» face à «l'injustice» des coutumes imposées par l'homme. Pour cela, elle revendique et veut contribuer à une existence libre des femmes. C'est une façon d'exprimer la douleur des femmes. C'est juste un petit résumé. Parlons de l'écriture. Seulement 170 livres ont été publiés en tamazight depuis 16 ans. Comment jugez-vous ce «bilan»? C'est peu. Je dirais plutôt très peu. Depuis la naissance de ces partis politiques d'opposition, la région a été complètement perturbée. Les intellectuels, les écrivains, les étudiants et tous ceux supposés avoir des capacités d'écrire sont inscrits dans cette «grenade» des partis politiques. Donc, ils sont engagés dans d'autres créneaux stériles tandis que d'autres croisent les bras et préfèrent attendre. Nous, les Kabyles, nous avons cette spécificité de revendiquer la langue et l'identité. On doit travailler pour promouvoir notre langue, pour s'imposer. C'est à nous de la prendre en charge. Il faut donc écrire et faire des recherches et suivre les autres modèles dans le monde au lieu de confiner la région dans des débats politiques qui n'ont rien apporté à la population. Pis, ils ont plongé la région dans le chaos. La preuve, le bilan de l'expérience éditoriale en tamazight est très mitigé. Donc, on ne doit pas croiser les bras. On doit se réveiller et prendre conscience de la situation au lieu de polémiquer. Pour moi, on doit cesser de revendiquer notre identité. Je suis convaincu de mon identité, je n'ai pas besoin de la revendiquer. Je ne peux pas demander à maman, si je suis son fils. Parlez-nous de votre expérience dans le domaine de la littérature ainsi que de votre passage de la musique à l'écriture? Malgré mon âge, je dis que je ne suis pas totalement satisfait, car je peux encore donner mille fois mieux que ce que j'ai fait. J'ai toujours cette envie de faire mieux. J'ai commencé à écrire et à lire à 20 ans. J'ai commencé à jouer de la musique à 30 ans. Il y a un peu de décalage. Quant à mon passage à l'écriture, je dis que c'est tout à fait naturel. Il n'y a pas lieu de s'y interroger. J'étais berger, ouvrier, musicien, auteur-compositeur, scénariste et puis je me suis consacré à l'écriture. Je vais vous raconter une anecdote: une fois, en 1975, je discutais avec Kateb Yacine et il m'a dit «Toi, il vaut mieux écrire que de rester comme ça», je lui ai répondu que je n'ai pas fait d'études supérieures, donc je ne pouvais pas écrire, mais Kateb m'a dit «si tu écris ce que tu dis, cela te suffit largement». Donc, quand quelqu'un comme Kateb Yacine me dit cela, il faut donc prendre les choses au sérieux. Evoquant le sujet de la musique, c'est parler automatiquement du groupe des Abranis. Y a-t-il une possibilité de voir les Abranis ensemble pour un nouveau produit? D'abord, Karim et moi, sommes toujours ensemble. Concernant le nouveau, je vous dis que nous préparons un nouvel album. Actuellement nous en sommes à la fin de la composition et nous serons en studio dans quelque temps. Ça sera un album moderne dans un style plus africain. Le groupe Abranis, a toujours été créateur. C'est d'ailleurs la chose qu'on ne peut pas leur reprocher. Donc, on va faire quelque chose de différent de ce que nous avons fait auparavant. Nous sommes toujours là. D'ailleurs, nous n'avons pas fait de tournée d'adieu. Nous sommes de retour. Que veut dire le mot Abranis et comment l'avez-vous choisi comme nom pour votre groupe? C'était dans les années 70 avec toutes les revendications culturelles et linguistiques que vivait la région. Nous avions trouvé dans le livre d'histoire, de Charles-André Julien, L'histoire de l'Afrique du Nord, où il parle des Branes qui sont une tribu de l'époque des Zenâta. Kosseila a réussi à régler les différends entre les deux ethnies, éternelles rivales, les Botr (nomades) et les Branes (sédentaires), à les réunir pour combattre l'invasion des Arabes venus d'Orient. Les Branes étaient des médiateurs, voila! A l'occasion du Festival de la chanson algérienne de 1973 à Alger, les responsables de l'époque nous ont demandé de changer le nom pour y participer. Ils nous ont proposé El Abranes. Une chose que nous avons refusée. Nous avons «accepté» d'ajouter le A pour faire Abranis, et ce, dans le but d'être découverts par le public. Comment aviez-vous opté pour un style anglo-saxon alors que l'Algérie venait de sortir du colonialisme français? Certes, c'était difficile au début pour les jeunes arabo-islamiques d'apprécier un style anglo-saxon qui sort du style oriental. Pour eux, tout ce qui n'a pas été chanté dans l'oriental au bien l'ancien style kabyle, était nul. Le public se demandait, qui étaient ces artistes qui ramenaient une nouvelle mode vestimentaire avec des cheveux longs et des barbes, un style nouveau. Mais, après juste notre passage dans quelques pays, notamment lors du Festival de 1973 à Alger, les gens commençaient à nous apprécier. Les Abranis devinrent célèbres par la suite. Encore ce style dérangeait même le pouvoir pour au moins deux raisons. La première c'est qu'on chantait en kabyle, l'autre c'était que nous avons ramené un style anglo-saxon, donc occidental, à un pays qui a adopté le socialisme. La chanson kabyle vit des hauts et des bas. Comment la jugez-vous et à quoi est due cette situation? A l'image de la situation de la culture dans le pays. Au début, c' étaient les femmes qui chantaient. La chanson kabyle s'est fait un nom grâce au défunt Slimane Azem. Puis, elle s'est développée avec l'apport d'autres chanteurs de l'époque et même de quelques artistes de la deuxième génération. Nous aussi, nous avons apporté notre touche à la chanson kabyle. L'histoire est là pour en témoigner. Aujourd'hui, la chanson algérienne en général n'a pas de repères universels. Je trouve aujourd'hui que seul Takfarinas, fait dans l'universel. Je le considère comme le meilleur artiste de l'Afrique du Nord car il est créateur. Il ne plagie pas. Il peut encore faire mieux. Il y a ce phénomène de la reprise. Quand le fils ne sait pas quoi dire, il répète ce qu'a déjà dit son père. Donc, il faut apporter quelque chose de nouveau.