Le passage d'une autorité publique à une entreprise privée du même secteur d'activité pose un sérieux problème. La désignation de M.Ahmed Gaceb à la tête du Conseil d'administration de l'opérateur téléphonie mobile, Wataniya Télécom Algérie est peut- être une marque de confiance de la part de l'opérateur koweïtien en direction de l'Algérie, comme le souligne M.Gaceb lui-même, mais c'est également un acte qui appelle un certain nombre d'interrogations. Et pour cause, le nouveau patron de Nedjma n'est pas n'importe qui. Il a occupé le poste de directeur général de l'Autorité de régulation des Postes et télécommunications (Arpt), un organisme public dont la mission principale est de jouer le rôle d'arbitre au sein du secteur des télécommunications en Algérie. Cette nomination est somme toute bizarre, puisque de juge, l'homme devient partie, dans un marché très concurrentiel où l'information est une arme plus que redoutable. Et lorsqu'on a occupé une fonction aussi sensible dans un organisme public appelé à gérer un marché qui brasse des dizaines de millions de dollars, l'on ne peut pas accepter un poste pareil, sans que cela ne fasse des vagues au sein de la concurrence. Les entreprises opérant dans le même secteur sont quelque peu «trahies» par l'Etat qui ferme les yeux sur une pratique loin d'être acceptable, au plan moral tout au moins. En effet, même si au plan juridique le passage de M.Gaceb de l'Arpt à Wataniya est une démarche légale, puisque l'homme n'est plus fonctionnaire depuis le mois de juin dernier. De plus, rien dans les statuts de l'agence de régulation n'oblige les responsables à éviter de travailler dans l'une des entreprises du secteur après la fin de leur mission au sein de l'Arpt. L'actuel président du Conseil d'administration de Wataniya Télécom Algérie est précisément dans ce cas de figure. Mais, même si les règlements en vigueur n'interdisent pas ce qui se produit dans un domaine cité en exemple pour son dynamisme, il est, néanmoins, permis de s'interroger sur le timing qui fait que le fonctionnaire en question se voit proposer un poste à la tête d'une entreprise quelques mois seulement après avoir quitté l'autorité de régulation. Or, sous d'autres cieux, une telle démarche est inimaginable. La loi oblige tout fonctionnaire ayant occupé un poste sensible à ne pas exercer dans le secteur privé dépendant de sa compétence pendant quelque temps, trois ans, voire cinq ans, dans certains pays occidentaux. Indépendamment de la légalité de la désignation de M.Gaceb, il est clair que ce passage d'une autorité publique à une entreprise privée d'un même secteur d'activité, pose un réel problème moral et met en exergue un vide juridique en la matière. En effet, rien n'interdit aux concurrents de Wataniya de «débaucher» d'autres cadres de l'Arpt et utiliser de fait, la masse d'informations dont dispose l'autorité de régulation sur les entreprises qui opèrent dans le domaine de la poste et des télécommunications. En recrutant un cadre d'un organisme d'Etat de contrôle, Wataniya a involontairement ouvert un véritable débat sur le principe même du service public. Et le premier constat à faire, est qu'il y a manifestement un vide juridique qui permet à une entreprise d'accéder d'une manière très légale à des informations «stratégiques» sur la concurrence et en poussant le bouchon plus loin, l'on pourra imaginer la concurrence faire de même, et il sera permis de s'interroger sur la mission de l'Arpt. Et pour cause, lorsque tous les secrets des entreprises et leur stratégie sont mis sur la place publique, l'on n'est pas loin d'une situation d'anarchie qui portera préjudice aux consommateurs algériens. C'est peut-être là un scénario catastrophe, mais c'est également un avenir probable dans le secteur des télécoms si rien n'est fait pour mettre un terme à une situation qui fait déjà grincer des dents.