Dans Ichkéri Kenti, le réalisateur témoigne, de façon surprenante, avec dix années de recul, l'histoire méconnue des Tchétchènes... Engagement. Que veut dire finalement ce mot aujourd'hui. Dans un monde où l'on use et abuse souvent d'un terme pour renforcer la description d'une chose, où le monde de l'information lui-même finit par calquer et reproduire les mêmes schémas langagiers, le même archétype d'images, pour frapper fort et vite, être au coeur et à la page de l'actualité...Bref, donner à consommer une information pour ne pas être dépassé par les «événements», ceux-ci en vérité, de la réalité médiatique qui ploie sous la logique de plus en plus implacable de la rude concurrence et régie par un système qui répond aux lois de l'argent...Le mot ne finit-il pas par perdre tout son sens? Faire un documentaire et surtout prendre le temps de le faire, c'est-à-dire, apporter toute sa dynamique et sa vérité, relèverait-il ainsi du pur engagement? Sans doute... Or, faire un film est-ce absolument une forme d'engagement? c'est la question à la quelle s'est essayé de répondre le réalisateur français Florent Marcie, invité par le Centre culturel français, dans le cadre de sa «séance du cinéphile» aussi pour animer un atelier autour de l'écriture du documentaire. Est-il lui-même un réalisateur «engagé»?Paradoxalement, si sa démarche l'est assurément, lui, réfute cette qualification. Soit. Selon Marcie, il faut se méfier du mot «engagement» qui, à force d'être galvaudé, perd de sa substance. L'engagement selon lui, c'est aussi de profiter de l'évolution des techniques cinématographiques pour aller filmer le réel et tenter de comprendre ce qui se passe dans le monde. Une vision qui est très souvent biaisée et n'a pour seul son de cloche ou prisme l'Occident ou l'Europe. Ainsi, le réalisateur nous exhorte à ce que nous fassions, nous des films, à même d'apporter notre propre regard sur le monde...Florent Marcie déplore, aussi, cette systématisation dans le traitement de l'information dans le cinéma. Ainsi, a t-il choisi une autre démarche, à travers des films qui se veulent originaux et pertinents, à la fois émouvants et intelligents. Dans Le Kiosque et la guerre, projeté mercredi à la filmothèque Mohamed-Zinet, Florent Marcie s'emploie à démontrer cet effondrement du langage et du sens. Au printemps 2003, pendant les bombardements en Irak, une caméra filme la une de magazines coulissant sur la devanture d'un kiosque parisien. Un étrange ballet insensé de mots et d'images s'engage aussitôt. Guerre, mode, publicité...En somme, c'est pareil...Au même moment, les manifestations se succèdent dans les rues de Paris.. Cela a un goût de l'absurde. Surréaliste, cet alignement d'images dont le double effet annule le premier. Dans Ichkéri Kenti de 145 minutes, projeté jeudi, le réalisateur témoigne, avec dix années de recul, de l'histoire méconnue des Tchétchènes. Hiver 1996, la Tchétchénie entre dans sa deuxième année de guerre. Florent Marcie parcourt, durant un mois et demi, improbable le pays à la rencontre d'un peuple déraciné, brimé par des soldats russes mais debout quand même. En résistance. Présent à cette projection, l'historien Dahou Djerbal parle en effet de «projet de liquidation d'un peuple». Dans Grozny en ruine, occupée par l'armée russe, les Tchétchènes organisent une grande manifestation indépendantiste, à coup d'«Allah akbar», revigorant les troupes d'un peuple soudé autour de sa foi en Dieu et dans la force de sa cause. Une société dont les fondements même de sa Constitution sont transgressés. Des images brutes, parfois drôles, pathétiques, tragiques ou teintées de lyrisme, le film donne à sentir le pouls frénétique de sa population via une petite caméra qui suit les mouvements des gens, absorbe leur peur et leur terreur, leur désarroi, leur résistance mais aussi leur prière, leur fuite, leur intimité...Une caméra faisant partie du décor, qui bouge parfois, forcément, scrute, cherche, dans un pays ravagé, afin de témoigner et comprendre ce qui pousse l'humain au faîte de son dénuement à se battre au prix de son propre être et se donner la mort, pour la survie de ses semblables... Le documentaire donne à voir ce présent tout en se référant au passé, appuyé de citations littéraires:Alexandre Dumas, Tolstoï...Ichkéri Kenti est pourvu d'une belle qualité esthétique et technique. Le film est souvent accompagné de photographies -un autre versant du parcours du réalisateur- qui lui confèrent une sorte d'intemporalité à la fois dramatique et artistique. Tout comme cette image tournée en ralenti qui égrène les secondes avant cette déflagration fatidique qui fait arrêter le temps et vous jette dans un trou noir. Emouvant, ce film a été projeté en Tchétchénie, aujourd'hui l'Algérie, et en février 2007 en France. «Pourquoi n y aurait-il pas plusieurs films de ce type?» se demandera mi-dépité, mi-révolté le réalisateur. Entendre par là, des films plus profonds, fouillés et qui suivent plutôt les pas de l'humain que de répondre à l'impératif immédiat de l'information qui a souvent péché par ses limites, allant jusqu'à même travestir la réalité...En somme, des films qui donnent à réfléchir au lieu de vous prendre par la main et vous asséner une vérité toute faite...Un sujet qui sera notamment traité dans le livre qu'il prépare actuellement intitulé: Autopsia..voir soi-même les choses. Enfin, le réalisateur Florent Marcie n'occulte pas le désir d'écrire un jour un film de fiction ayant trait au parcours d'un éminent homme scientifique, sur fond de mysticisme. Florent Marcie? un réalisateur résolument engagé dans sa quête de vérité!