La crise Paris-Alger est-elle nuisible ou utile à l'Algérie? Et d'abord, que dévoile cette crise inédite entre deux pays liés par l'Histoire et animés de façon récurrente par des perspectives de coopération? Hormis l'atrophie diplomatique, elle remet en lumière un courant haineux et des enjeux déjà présents, tout en ravivant des passions accumulées durant au moins 195 ans (1830-2025). Celles-ci ont façonné les mentalités, les rendant presque immuables à court terme. Leur changement ne s'opère qu'à travers les actes accomplis sur le long terme, et non au gré des souhaits et des intentions conjoncturels. Or, que valent ces actes sans l'éclairage de la réflexion et de la juste raison en ces temps de déraison? Elles aident à comprendre que la réalité dépasse souvent la logique, et que seule la clairvoyance du bon sens permet de l'appréhender. On le voit bien au niveau mondial où les principes onusiens sont déconnectés de la conduite, tandis que la paix est incertaine face à la résurgence du militarisme et de la force qui supplante la diplomatie. On le voit aussi dans le retour des appétits de conquête qui ont jadis façonné le monde. On le voit même dans les calculs de certains politiciens qui réduisent par exemple une relation si dense à une question anodine de visas et d'OQTF. Par ailleurs, l'interaction des économies et la rapidité des mutations poussent partout les gouvernants à repenser leurs politiques au risque de bousculer les convictions traditionnelles des peuples. Autant de faits qui entraînent, çà et là, des rééquilibrages, des connivences, des alliances et des revirements surprenants, voire contre-nature. Tel est en tout cas le contexte général de la crise Paris-Alger où les intérêts sont la seule priorité et où surgissent des désaccords entre des Etats aux statuts asymétriques. De fait, les relations reposent davantage sur des motivations et des critères de profit et de puissance, voire d'amour-propre, plutôt que sur une vraie éthique étatique et des synergies. C'est pourquoi notre pays est acculé à y réfléchir sereinement afin de ne pas confondre la France des Lumières avec celle de l'obscurantisme et de la réaction, de tirer les leçons des crises qu'il a subies, de mesurer la distance qui le sépare des autres pays, d'anticiper son avenir et, au final, d'optimiser sa puissance globale. De cette façon, il triomphera des obstacles qui entravent son essor, instaurant ainsi les conditions propices au respect qu'il mérite. Comment réussira-t-il si ce n'est en s'imposant un labeur collectif porté par une politique nouvelle. Celle proposée le 19/12/2019 et réaffirmée le 17/9/ 2024 par le chef de l'Etat dans ses discours d'investiture, est de nature à favoriser un tel essor grâce à une dynamique interne focalisée sur l'application concrète et effective, adossée à la règle universelle du travail intellectuel et matériel dédié à l'ordre, la norme, la production et le rendement. Cette règle éprouvée est d'autant plus reconnue que la compétition est féroce et que chaque Etat joue d'abord son jeu national. S'agissant du nôtre, il revient de loin, et il est une fois encore mis à l'épreuve. Ayant surmonté celle de la tragédie nationale et ses conséquences humaines, il amorce à présent une autre étape où il affronte des défis qui concernent en premier lieu la consolidation de ses assises et le développement de son patrimoine économique. C'est un défi colossal qui lui demande de gros efforts sur lui-même et dans la durée. Sur lui-même, pour rassembler les Algériens autour des objectifs d'intérêt national, et pour les convaincre que la liberté ne se confond pas avec le désordre, ni que les sentiments priment sur la rationalité collective. Dans la durée, pour habituer ces mêmes Algériens au travail persévérant et à l'endurance nécessaires aux grandes réalisations où l'esprit de suite et de longs délais sont des facteurs clés. Il en fut toujours ainsi, partout, y compris en Algérie durant les décennies 1960, 1970 et 2000, notamment et à nouveau aujourd'hui avec, par exemple, les projets structurants de lignes ferroviaires Alger-Tamanrasset et Ghar Djebilet-Oran, ainsi que celui du port centre. Mais les défis ne s'arrêtent pas à ce stade. Ils concernent, en second lieu, la consolidation de la santé morale de la nation et du vivre-ensemble. De quoi s'agit-il? Il s'agit principalement de la cellule familiale que le règne des smartphones et la pénétration de la drogue rendent plus fragile que jamais, tandis que le respect tend à s'y effriter. En s'effritant dans la famille, il fléchit dans l'Etat où le citoyen sous-estime la loi, et où le devoir est mollement accompli. Outre ces éléments, l'administration, vitrine de ce même Etat, n'est pas épargnée par les pathologies du sous-développement qui affectent aussi d'autres piliers de la société, tels que la culture, l'éducation, la recherche, la santé, le service public, la vie parlementaire, la transformation numérique, les médias... En bref, tout cela souligne combien la tâche est exigeante et n'implique pas seulement les gouvernants, mais aussi l'ensemble des acteurs de la société. Dans cette perspective, la crise Paris-Alger ne serait-elle pas au final, paradoxalement, une éclaircie salutaire et un mal pour un bien, car elle peut agir comme catalyseur d'une résilience collective face à des contraintes existentielles?