La cheffe de file de l'extrême droite française Marine Le Pen saura lundi si la justice l'autorise à se présenter à la présidentielle de 2027, dont elle est l'une des favorites. Cette décision, dans une affaire de détournement présumé de fonds publics, tient en haleine toute la classe politique du pays de par ses conséquences électorales. L'enjeu a été démultiplié depuis que l'accusation a requis fin novembre à l'encontre de Mme Le Pen, à la surprise générale, une peine de cinq ans d'inéligibilité «avec exécution provisoire», c'est-à-dire s'appliquant immédiatement, même en cas d'appel de l'intéressée. Si les juges suivent lundi ce réquisitoire, Mme Le Pen, 56 ans, ne pourra pas participer au prochain scrutin présidentiel prévu en 2027, après déjà trois tentatives infructueuses. Le jugement sera prononcé à partir de 08h00 GMT. «Je pense que la volonté (de l'accusation) est de priver les Français de la capacité de voter pour ceux qu'ils souhaitent», c'est «ma mort politique qu'on réclame», avait réagi à l'époque du réquisitoire Marine Le Pen, qui se croyait jusqu'alors protégée par la faculté d'un appel repoussant de facto toute décision définitive après 2027. L'accusation a également requis cinq ans de prison dont deux fermes, aménageables en travaux d'intérêt public, et 300 000 euros d'amende. Marine Le Pen est donnée par les sondages assez largement en tête du premier tour de la prochaine élection présidentielle. Ce n'est pas un gage de succès final car elle a déjà échoué en 2017 puis en 2022 au second tour face à l'actuel président Emmanuel Macron, qui ne peut pas se représenter. Mais dans une Assemblée très fractionnée, elle dirige le groupe parlementaire le plus important, capable de faire tomber à tout moment le gouvernement. Surtout, Mme Le Pen espère enfin récolter en 2027 les fruits d'une grosse décennie passée à polir l'image sulfureuse du parti fondé par son père Jean-Marie Le Pen, décédé le 7 janvier (le Front national, rebaptisé Rassemblement national en 2018). Si la lutte contre l'immigration reste au coeur de son programme, et «la menace islamiste» l'antienne de ses discours, Mme Le Pen a ainsi renoncé à sortir de l'euro. Son binome à la tête du parti, Jordan Bardella, a été la semaine dernière le premier dirigeant du RN invité par le gouvernement israélien, comme pour faire oublier les jeux de mots à consonance antisémite affectionnés par le «patriarche» Jean-Marie Le Pen. Mais la justice, elle, ne s'intéresse qu'à l'enquête qui, selon l'accusation, a mis au jour un «système organisé, systématisé» ayant permis entre 2004 et 2016 de faire du Parlement européen la «vache à lait» du parti. Concrètement, le RN et sa dirigeante sont accusés d'avoir utilisé les enveloppes de 21 000 euros par mois auxquelles les députés européens avaient droit, pour rémunérer des assistants parlementaires «fictifs» qui travaillaient en fait pour le parti comme garde du corps, graphiste ou secrétaire. Le Parlement européen estime le préjudice à 4,5 millions d'euros. Pendant huit semaines, neuf anciens eurodéputés RN - dont Marine Le Pen - ont été jugés l'automne dernier à Paris pour détournement de fonds publics, avec 12 personnes soupçonnées d'avoir bénéficié d'emplois fictifs (recel), le trésorier et les experts-comptables du parti (complicité). Tout au long du procès, Mme Le Pen n'a cessé de clamer son innocence. «Ça fait une épée de Damoclès», commentait un proche de la responsable politique à l'approche du jugement. «Lundi, c'est un monde qui peut s'effondrer.» La peine d'inéligibilité est obligatoire pour le délit de détournement de fonds publics reproché à Mme Le Pen, mais la demande d'exécution provisoire a surpris jusqu' au-delà des rangs du RN. En cas d'inéligibilité de Mme Le Pen, l'alternative paraît toute trouvée: à 29 ans, l'ambitieux Jordan Bardella, actuel président du parti, bénéficie d'une large cote de sympathie. «Les adversaires du RN crient victoire trop tôt», prévenait Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite en France, à l'issue des réquisitions. «Une inéligibilité de Marine Le Pen serait sans doute perçue par les électeurs du parti comme une forme de persécution, d'acharnement (...). Et je ne suis pas persuadé que la victoire soit plus facile contre Jordan Bardella que contre Marine Le Pen.»