Le directeur de l'Observatoire français nous livre ici sa vision sur le partenariat euro-méditerranéen et sur les tendances actuelles de l'évolution du phénomène de la toxicomanie. Il est en Algérie pour prendre part à la Conférence internationale traitant du thème de l'introduction de la recherche scientifique dans la lutte contre la drogue et la toxicomanie Peut-on connaître les tendances actuelles de la propagation du phénomène de la consommation de la drogue dans la région euro-méditerranée et en France plus précisément? Les plus grands problèmes dans cette région portent sur la consommation des produits dits licites. Il y a un consensus scientifique qui est fait autour de la consommation des psychotropes qui posent le même problème de dépendance. Les effets recherchés sont les mêmes qu'avec les autres drogues, à savoir, l'ivresse, la perte de contrôle de soi. Aussi, les mécanismes d'action sur le comportement et le cerveau ne différent pas. Le tabac est un produit illicite si on devait le classer par rapport aux effets désastreux qu'il occasionne chez le consommateur: cancer, maladies cardiovasculaires. C'est un problème de santé publique car en France dix pour cent des décès sont liés au tabac, c'est-à-dire 60.000 morts par année. L'alcool occasionne 45.000 décès par an alors que les drogues illicites sont derrière la mort de quelques centaines de personnes. Parmi les produits illicites les plus consommés en France, il y a le cannabis, onze millions de Français l'ont essayé, soit un quart de la population globale. Mais tant que cela reste une consommation occasionnelle, (consommation festive surtout), les problèmes posés sont gérables. Une majorité de consommateurs disparaît avec l'âge, le mariage, l'embauche, un foyer qu'on fonde...ce qui est prouvé par des études et des recherches faites par des spécialistes. En Europe, le cannabis concerne tous les milieux sociaux, c'est plus un phénomène de mode. Mais une minorité consomme de manière fréquente cette drogue et c'est elle qui nous pose problème. Les études ont montré qu'il s'agit d'une catégorie qui découvre le phénomène dès l'âge précoce. Les études épidémiologiques ont montré que cela nuit à la santé mentale et physique des consommateurs qui sont environ un million deux cent mille usagers qui nécessitent un dispositif de soins adéquat. Et quelle place occupe la répression dans la politique de lutte contre la drogue? La répression ne fait pas de distinction entre les différentes catégories de consommateurs. La législation est claire à ce sujet et nous enregistrons une moyenne annuelle de cent mille arrestations dont 10% concernent le cannabis. Le produit le plus problématique et qui est la cause de nombreux décès et source de désinsertion sociale reste l'héroïne qui est la source principale de la toxicomanie en France et en Europe. Il y a un million cinq cent mille consommateurs d'héroïne dans le Vieux Continent mais nous assistons actuellement à une certaine mutation vers la consommation de cocaïne, de stimulant amphétamines et d'extasies. Tous les indicateurs convergent à ce sujet, les saisies opérées par les services de sécurité et les enquêtes menées par différents organismes. Quelle lecture avez-vous faite par rapport à cette mutation dans le modèle de consommation? Nous sommes au stade des hypothèses et nous pensons qu'il s'agit d'évolutions socio-économiques des pays européens. On est toujours en quête d'un modèle dominant, en quête surtout de performance. La drogue est un moyen de stimulation et de dopage pour s'adapter à la nouvelle société. Les Etats-Unis sont des consommateurs traditionnels de la cocaïne et les Européens les imitent sur ce volet. Quelles sont alors les actions prioritaires que prend la lutte contre ce phénomène? Là aussi, un large consensus est établi par les différents intervenants. La réponse doit être multiforme, elle consiste à ne pas abandonner la lutte dans le domaine de l'offre, tout en sachant que cette question ne peut pas être réglée, et concentrer notre attention sur la question de la demande qui reste l'objectif de cette lutte, et ce, en adoptant une politique de prévention dissuasive à l'adresse surtout des premiers usagers pour en réduire les risques à travers l'orientation de l'action publique. Je vous donne l'exemple de la consommation de l'héroïne à injection intraveineuse, le procédé de désintoxication est parfois refusé par le toxicomane, il faut donc adopter à leur égard une autre attitude qui consiste à réduire les risques de contamination de maladies en utilisant un matériel propre et stérilisé. C'est une stratégie basée sur trois axes qui sont, la prévention, les soins et la réduction des risques. C'est une stratégie réaliste et prend en considération l'équilibre entre les trois volets de cette lutte. Quel est le regard que vous portez sur ce phénomène qui commence à prendre de l'ampleur dans la région du Maghreb et en Algérie plus particulièrement? C'est un phénomène émergent mais qui peut devenir problématique d'autant plus que le Maroc est un pays grand producteur de cannabis. C'est pour cette raison que nous encourageons la coopération euro-Méditérannée dans la lutte contre la propagation du phénomène de la drogue. En Algérie, nous avons remarqué qu'il y a une volonté de la part des autorités pour enrayer ce phénomène, et cette conférence qui se tient à Alger, en est la preuve. La démarche entreprise par l'Office algérien de lutte contre la drogue permet une étroite coopération avec les organismes internationaux dont le nôtre. Quelles sont les formes de cette coopération? Nous sommes prêts à apporter notre aide sur le plan de la méthodologie à adopter dans ce genre de situation. Il est important de tisser des liens entre la société civile et les autorités publiques pour coordonner les actions sur le terrain car il faut d'abord cerner le phénomène à partir du potentiel scientifique local pour avoir une situation chiffrée sur le phénomène. Il n'est pas question ici de transposer nos modèles du fait des spécificités culturelles. Le plus important est de s'échanger des informations et des données sur l'évolution du phénomène et l'action des réseaux de propagation. Donc, nous nous tenons disposés à apporter les outils scientifiques et méthodologiques dans le cadre du partenariat. Et si on vous demandait de brosser un tableau de la situation qui prévaut au sein de la communauté maghrébine en France qui vit, en majorité, dans les banlieues? Les jeunes de la communauté maghrébine sont touchés, à l'instar des autres jeunes Français, par la toxicomanie dans toutes ses formes, à savoir, la consommation du cannabis, de la cocaïne et de l'héroïne. L'étude de ce phénomène au sein de cette communauté sous l'angle culturel est une piste intéressante à explorer dans le cadre des échanges de la coopération nord-sud. Le phénomène pourrait avoir des ramifications avec les pays maghrébins de par cette proximité culturelle et des échanges intenses qui se font entre les deux rives. Nous savons déjà que les réseaux des narcotrafiquants profitent en France du facile accès aux produits de substitution qui sont prévus dans le traitement des toxicomanes. Ces produits médicamenteux sont détournés de leur vocation pour être introduits dans le circuit des narcotrafiquants. Et au vu de la consommation avérée de ces produits dans des pays comme l'Algérie, il y a lieu de s'inquiéter sur sa pénétration à travers la communauté installée en France qui vient régulièrement en Algérie. Un produit comme le Subutex qui est à base de la molécule Buprénorphine à haut dosage est plus dangereux que les drogues conventionnelles.