Et maintenant? Ceux qui ont ordonné l'exécution un jour de piété, ont-ils mesuré dans quoi ils s'engageaient? Saddam Hussein est mort! Mais cela a-t-il, ou va-t-il, pour autant régler les problèmes auxquels est confronté l'Irak depuis l'invasion américaine du 20 mars 2003? On en doute fort. Or, la précipitation mise à appliquer la sentence sans délai, nonobstant la proximité des fêtes de l'Aïd El Adha qui réunissait en communion un milliard de musulmans en ce jour sacré, outre de violer ce qu'il y avait de plus glorieux en ce jour divin où Ibrahim Al Khalil a fait sacrifice à Dieu de son fils, sonne surtout comme une vengeance. Une vengeance atavique qui annule de fait, tout ce qui a pu être fait ces derniers mois pour préserver l'unité de l'Irak aujourd'hui plus que jamais au bord du précipice. Car, si on a voulu radicaliser le clash entre les communautés irakiennes, on n'aurait pas agi autrement que d'appliquer, hors normes, la sentence de mort de l'ancien président irakien, un jour sacré où la clémence, le pardon et la foi auraient dominé dans les coeurs. Les autorités irakiennes, en ordonnant l'exécution de l'ancien président un tel jour, ont pris sur eux, outre la facilité de tirer sur le cordon du gibet, la lourde responsabilité d'ouvrir la boîte de Pandore dans un pays laminé par la violence. Violence que, il ne fait pas de doute, la mort de Saddam Hussein -qui induit en fait un assouvissement de basse vengeance- va aviver. Dans le pays sunnite irakien, où règne un calme qui annonce la tempête, le parti Baâs a déjà appelé à prendre les armes et à «tuer» les Américains et les Iraniens. Dans un communiqué sur son site Internet, le Baâs écrit. «Aujourd'hui, les nouveaux safavides ont appliqué les ordres du croisé criminel George W.Bush, en exécutant le président Saddam Hussein (...). C'est votre grand jour. Frappez sans merci l'ennemi commun en Irak: l'Amérique et l'Iran». Sans se référer à Saddam Hussein, la branche irakienne d'Al Qaîda appelle, de son côté, au Jihad dans un message de l'Aïd diffusé sur son site Internet dans lequel il y est affirmé: «Vos frères moujahidine poursuivront le jihad contre les soldats croisés et les apostats (...). Nous n'avons que l'islam pour vivre dans la dignité et devenir les maîtres du monde», est-il notamment écrit. Notons cependant, que ce message a été mis en ligne ven-dredi, quelques heures avant l'exécution de Saddam Hussein. Par ailleurs, dans une déclaration audio, enregistrée sur le site Internet du groupe jihadiste en Irak, l'Emir de l'Armée islamique en Irak (AII) appelait à «sauver Baghdad» de l'occupation iranienne estimant que «l'Irak est confronté à une double occupation, américano-iranienne. La plus mauvaise est l'occupation safavide iranienne». Le chef de l'AII affirme par ailleurs que «l'Amérique est en train de chanceler en Irak (...). C'est l'Amérique qui a allumé le feu de la guerre confessionnelle avant de réaliser qu'elle a été piégée par les Iraniens qui se sont emparés de l'Irak et de ses richesses sans coup férir (...)» «Désormais, l'Amérique coopère totalement avec les milices safavides. L'Iran fait fi de tout chiite en Irak s'il n'est pas un Persan» indique-t-il encore. En réalité, le gouvernement irakien dominé par les chiites et les Kurdes, n'avait en vue, en exécutant Saddam Hussein, que d'assouvir une vengeance sur un homme qui leur a fait, certes, beaucoup de mal. Cet «assassinat politique» comme l'a qualifié, d'emblée, samedi, le Hamas palestinien, ou cette «erreur politique et historique» comme l'estimait, hier, l'ancien président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, a créé un malaise parmi les communautés arabe et internationale. L'application de la sentence dans les conditions dans lesquelles l'ex-président a été pendu, ne se justifiait d'aucune manière et ouvre surtout grandes les portes à la fitna entre les communautés irakiennes. On peut estimer que ce sont les chiites qui ont le plus poussé à cette application sans délai du jugement du Haut tribunal irakien, faisant ainsi entrer le pays dans une période d'incertitude dont les conséquences, non mesurables, risquent d'être dommageables pour l'unité de l'Irak. Une unité déjà fortement ébranlée par l'autonomie du Kurdistan, lequel s'achemine, petit à petit, vers l'indépendance de fait. Dès lors, la mort de Saddam Hussein, hors des règles admises, en l'occurrence menace de devenir le détonateur qui mettra le feu aux poudres alors que le pays vit depuis près de quatre ans au bord d'un volcan en pleine ébullition que la première étincelle peut faire exploser. Et la pendaison de Saddam Hussein peut, à terme, être cette étincelle qui allumera les feux. La rupture entre les communautés irakiennes, singulièrement chiites et sunnites, est tragiquement illustrée par ces images qui mon-trent les manifestations de joie des chiites à l'annonce de la pendaison de l'ancien président, en contraste avec la consternation et le choc ressentis dans le pays sunnite. Les sunnites pleuraient, hier, en silence leur président, mais déjà des manifestations de colère avaient lieu hier à Ajoua, le village natal de Saddam Hussein où il a été enterré dimanche matin, et à Tikrit, chef-lieu de la province de Sallaheddine, fief des tribus Aboul Nasser, le puissant clan du défunt président irakien. Il ne fait pas de doute que le courroux des sunnites montera en puissance dans les jours à venir. C'est dire que le gouvernement du Premier ministre chiite, Nouri Al Maliki, en optant pour l'application, dans les conditions que l'on sait, de la sentence du jugement de l'ancien président, donne l'impression d'avoir programmé le suicide de l'Irak unitaire. Aussi, ce gouvernement assumera, en fait, tout dérapage à venir dans un Irak meurtri dont les responsables semblent n'avoir pas su, ou voulu, raison garder.