Le témoignage de M.Laksaci peut se résumer à une longue empoignade sans merci avec la présidente. Les interrogations posées par l'avocat Berghel Khaled ont créé la surprise des débats en permettant de dévoiler que Khalifa Abdelmoumen était comme un fantôme. Il n'était cité dans aucun document officiel, alors qu'il est l'accusé principal dans cette affaire dite du siècle. Le témoignage du gouverneur de la Banque d'Algérie, M.Laksaci, au procès de Khalifa devant le tribunal criminel de la cour de Blida, qui a duré toute la matinée d'hier, peut se résumer à une longue empoignade sans merci avec la présidente. Le débat qui a été, par la suite, ouvert au procureur général et aux avocats de la défense, a tenu en haleine l'assistance, et a surtout prévalu par ses aspects un peu savants et étriqués, mais intéressants à suivre en apportant un éclairage décisif pour situer les responsabilités dans la gestion de Khalifa et sa faillite prévisible. L'entrée a été consacrée aux présentations du parcours de l'actuel gouverneur de la Banque d'Algérie et les missions dévolues à ce poste-clé dans la gestion et le contrôle de la finance et la monnaie. Il occupait le poste de vice-gouverneur avant d'être désigné à ce poste, le 2 juin 2003, en remplacement de Keramane Abdelouahab. A la question de savoir si les rapports établis par les inspecteurs et contrôleurs arrivaient au gouverneur, il répond par l'affirmative. C'est sur la base de ces rapports que le gouverneur évalue la situation et prend les mesures nécessaires et adéquates. La présidente procède par élimination «en retournant la question: cela veut dire que l'ex-gouverneur était bien au courant des rapports établis par les inspecteurs, n'est-ce pas? Si oui, pourquoi n'avait-il pas alors vite réagi devant les anomalies constatées concernant le changement des actionnaires, des parts et des gestionnaires, notamment?» Il repousse la question piège de la présidente: «Madame, je ne peux pas me mettre à la place des autres.» Le voyant chercher l'esquive, elle persiste: «Supposons que c'était vous à cette époque. Comment auriez-vous procédé?» Le témoin, après une petite hésitation: «J'engage une enquête.» La présidente continue: «Soyez franc. C'est-à-dire vous réagissez?» «Oui, je ne dois pas, en tout cas, rester passif. Je dois tout faire pour régulariser la situation.» Elle insiste: «Vous ne pouvez fermer les yeux sur les infractions constatées par la commission bancaire selon lesquelles la gestion de Khalifa ne répondait pas aux normes?» Tout le monde avait compris où la présidente voulait en venir lorsqu'elle ajouta: «En tant que gouverneur, comment expliquez-vous le silence observé?» (sous-entendu par l'ex-gouverneur). Réalisant le piège tendu, M.Laksaci se ressaisit en disant de nouveau sa formule préférée: «Je ne peux pas me mettre à la place des autres.» La présidente continue: «Parlons loi. Elle vous autorise à donner des ordres aux inspecteurs et à suivre l'inspection. Et donc, les rapports atterrissent chez le gouverneur.» Coincé, il lâche: «Absolument. Tous les rapports.» Le jeu des questions s'intensifie: «Les membres de la commission bancaire disent qu'ils étaient informés du contenu du deuxième rapport, mais pas le premier. Pourquoi? Est-ce normal?» «Non. La commission doit avoir tous les rapports pour pouvoir suivre le respect de la loi par chaque banque agréée». Constatant que Laksaci esquivait les questions, la présidente tenta de l'impliquer davantage là où il ne pouvait le faire: «Parlez-nous de votre mission en tant que vice-gouverneur de la Banque d'Algérie. Vous étiez membre du conseil d'octroi des agréments et vous assistiez à la réunion. Quelle a été votre position sur les irrégularités et les anomalies concernant la fiche technique du dossier Khalifa?» Le gouverneur a donné des explications techniques en soutenant que les choses étaient plus compliquées parce qu'il fallait procéder par phases et par étapes entre l'acte d'autorisation, qui se base sur des engagements écrits, et celui de l'agrément qui viendra après. Ce sont ces failles qui avaient été mises à profit par les fondateurs de Khalifa pour assurer leur démarrage. Les débats ont été ensuite orientés sur le contrôle des activités de la banque et le retard pris dans le redressement ou la correction de cette banque. Le gouverneur assure que les membres associés ont été destinataires d'une correspondance pour les avertir contre les dépassements de la loi et les inviter à prendre les mesures nécessaires de redressement, mais ils n'ont pas répondu à cette mise en garde. Le gouverneur précisera que la Banque d'Algérie suivait, malgré les problèmes posés, la situation de la Banque Khalifa et des filiales. Ainsi, il a pris la décision de suspendre le transfert des devises, dès octobre 2001, et toutes les opérations de commerce extérieur, le 27 novembre 2002, à la suite du constat, à partir de juillet 2002, des fuites importantes de capitaux et le non-rapatriement des fonds de Khalifa Airways. En dépit de ces explications qui indiquent que la Banque d'Algérie, contrairement à ce qui est avancé, n'était pas restée passive devant les agissements des responsables de la banque Khalifa, la présidente a voulu éclaircir des zones d'ombre relatives, notamment, à la tentative d'Abdelmoumen de créer une banque à l'étranger, demande ayant reçu un refus. Une des questions non élucidées était de savoir pourquoi le ministre des Finances, qui était destinataire, en 2001, des premiers rapports d'enquête sur la banque Khalifa, n'avait pas réagi à temps. De même, beaucoup d'interrogations étaient posées sur l'attitude passive de l'ex-gouverneur, Keramane, qui n'a pas répondu à la convocation de la justice. Madame la présidente a officiellement indiqué que ce dernier est désormais accusé devant la justice algérienne en perdant sa qualité de témoin. Enfin, la parole a été donnée au procureur général qui a abondé, dans le même sens, que la présidente. Mais c'est surtout les interrogations posées par l'avocat Berghel Khaled qui ont créé la surprise des débats en permettant de dévoiler que Khalifa Abdelmoumen était comme un fantôme. Il n'était cité dans aucun document officiel, alors qu'il est l'accusé principal dans cette affaire dite du siècle. Décidément, le procès n'arrête pas de révéler ses surprises. M.Lakhal Abdelkrim, secrétaire général du ministère des Finances, est intervenu à la barre en tant que témoin dans les débats de l'après-midi. Il confirme avoir remis, de main propre au ministre des Finances de l'époque, le rapport de la commission d'enquête faisant état d'irrégularités et anomalies dans la gestion de Khalifa Bank en date du 10 novembre 2001. Une façon d'envoyer la balle dans le camp du ministre, seul à décider de la suite à donner.