Avec pour seul décor, trois monuments de martyrs, la pièce a su mettre en exergue cette désillusion de l'après-indépendance... «Une mise en exploitation». Nous sommes, d'emblée, avertis par Omar Fetmouche, l'auteur de la version «originale» de la pièce tirée du roman Le Fleuve détourné de Rachid Mimouni. En somme, une adaptation libre, pour ceux qui chercheraient, à tout prix, des similitudes avec l'oeuvre littéraire de Mimouni. Produite par le Théâtre de Béjaïa, dont M.Fetmouche est le directeur, et mise en scène par Hamida Aït El-Hadj (ça doit être la soeur de l'autre, Fatma, pour ne pas la nommer), la générale de la pièce de théâtre, Le Fleuve détourné, présentée mardi soir au Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi, a drainé un monde fou, ne laissant aux retardataires pour seul secours que les marches du théâtre, pour s'asseoir. Entrant dans le cadre de «Alger, capitale de la culture arabe 2007», El-nahr el-mouhawel a pour personnage principal, Mohand Larbi Nath Mezghan, un moudjahid qui, en se réveillant d'une amnésie profonde qui a duré 25 ans, suite à son admission à l'hôpital, seul survivant parmi tous ses compagnons tombés au champ d'honneur, trouve son nom gravé sur une stèle des martyrs. Commencent pour lui les ennuis...Vivant, on veut l'enterrer de nouveau, l'oublier, comme on oublierait une tare qu'on s'empresse à nier, à renier, à gommer...«Un revenant» que tout le monde pensait mort lors d'une bataille entre l'ALN et l'armée française en 1959. A travers son périple pour recouvrir son identité, il nous dévoile une Algérie, changée, métamorphosée aux idéaux complètement «détournés» au profit d'autres intérêts. Une Algérie pervertie par l'amour du pouvoir et de l'argent. Une Algérie des débuts des années 80, riche mais faite aussi bien de gloire que de reniement, laissant le peuple pourrir dans les pénuries de tout bord, préparant ainsi le lit de ce qui sera plus tard la révolution d'octobre 1988. Une Algérie de misère et d'ignorance où un mari bat sa femme parce qu'elle a eu des filles... Mohand Larbi Nath Mezghan, campé par le comédien Mourad Khan, veut revoir sa femme Houria et son fils Idir. Plus tard, ce dernier, interprété par le chanteur de rap, Lotfi Double Canon, qui s'essaye pour la première fois et avec succès, au 4e art, lui annoncera que sa mère est morte, assassinée et torturée par les colons français, et ce, sous ses yeux de gamin apeuré et ahuri...Traumatisé. Il lui évoquera aussi les vicissitudes de la vie, alors que son père lui certifiera qu'il était monté au maquis afin que ses enfants vivent mieux...Devenu maire de la ville, le cousin de Mohand Larbi Nath Mezghan refusera de l'aider, à le reconnaître comme tel et lui faire ses papiers...Image patente de ces dirigeants serviles et asservis au pouvoir, ce dernier est affublé de tics et d'accoutrement digne d'un bouffon du roi, montré souvent couché, à plat-ventre ou caché derrière un mur...On retrouvera là, le style à la fois de déraison et de dérision qui caractérise l'oeuvre mimounienne. Si Mohand Larbi refuse d'oublier, un autre moudjahid à défaut de mourir, renoncera à la vie «normale» de ses semblables pour sombrer dans l'inconscience, la folie ou ce qu'on croit être la folie.. Marginalisé, Ali, alias Réda Doumaz, illustrera ce chanteur troubadour, la voie de la sagesse et de l'amour qui rayonne de loin et chante, malgré tout, l'espoir...Tel est le happy-end de cette pièce qui tiendra en haleine un public conquis, du moins à en croire par les salves d'applaudissements nourris à l'adresse des comédiens. Chapeau bas en tout cas pour ces jeunes dont celui qui jouera le rôle du soûlard paumé. Celui qui aura le plus gagné finalement la sympathie du public. Pour ceux qui ne l'ont pas encore vue, la pièce est encore à l'affiche, aujourd'hui, à 15h et 19h.