«Considérant que les autorités françaises poursuivent depuis plus de sept ans une guerre contre le peuple algérien...se sont rendues coupables -les auteurs- de crimes contre la paix, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, doivent en répondre.» Texte approuvé à l'unanimité par l'Assemblée générale de l'ONU, le 4 février 1962. Les récents débats passionnés qui ont animé la scène politique française et l'opinion publique, au lendemain du projet de la loi du 23 février 2005 portant «glorification des bienfaits de la colonisation», ainsi que la montée au créneau du président Abdelaziz Bouteflika pour qualifier, entre autres, la colonisation française en Algérie de «crimes contre l'humanité et de génocide», ne sont pas de simples surenchères politiques liées au contexte politique du moment, ou des batailles d'arrière-garde de clans politiques gravitant autour de l'un ou l'autre pouvoir. Elles sont la continuation d'un débat engagé bien avant l'indépendance de l'Algérie, en plein feu de la guerre de Libération, au sein des arènes et institutions internationales, dont l'ONU. Rappelons tout de suite le texte approuvé à l'unanimité par l'Assemblée générale de l'ONU le 4 février 1962, soit cinq mois avant le référendum qui a abouti à l'indépendance, et qui qualifiait la répression française en Algérie de «crimes de guerre et de crimes contre l'humanité» et qui demandait la poursuite de leurs auteurs: «Considérant dès lors que tous les actes visant au maintien par la contrainte de la situation coloniale et à la répression des mouvements de libération des peuples constituent des crimes de droit commun international; Considérant que les autorités françaises poursuivent depuis plus de sept ans une guerre contre le peuple algérien...qu'à cet effet, elles ont usé de toutes les méthodes coercitives sur les plans militaire, policier, judiciaire, administratif, législatif; que ceux des agents de l'autorité qui, dans le cadre de l'élaboration et de l'application de ces mesures, se sont rendues coupables de crimes contre la paix, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre doivent en répondre.» Le texte ajoute avec force «Proclame la nécessité urgente d'en assurer la sanction et souhaite à cette fin -la compétence de répression étant universelle- l'élaboration d'accords internationaux et la Constitution notamment d'une juridiction internationale composée à l'initiative des peuples victimes du colonialisme.» Ce texte clair et précis, condamnant la France coloniale, passé sous silence par les adeptes des bienfaits de la colonisation, oubliés (volontairement?) lors des débats par certains intellectuels, n'est pas le fruit du hasard. Il est, au-delà de l'évidence historique, l'aboutissement d'enquêtes de militants des droits de l'homme, d'ONG réputées pour leur sérieux, de témoignages et de courage d'intellectuels et de juristes de l'époque. A ce titre, citons les colloques internationaux sur la question algérienne organisés à Bruxelles les 18 - 19 mars 1961, soit au moment du cessez-le-feu, et à Rome les 2, 3 et 4 février 1962 et qui abondent avec les mêmes conclusions. A Bruxelles, une pléiade de juristes, dont Maîtres Vergès, Serge Moureaux (Belge, toujours en activité), notre actuel ministre des A.E., Mohamed Bedjaoui et bien d'autres, avaient, lors des débats, mis en évidence le caractère génocidaire du colonialisme français en Algérie et abouti à des recommandations sans concessions sur ce sujet: «Proclame le droit des Algériens par application du droit international, de juger par ses juridictions ou de faire juger par des juridictions internationales tous ceux qui se sont rendus coupables vis-à-vis des Algériens ou à l'occasion du conflit, d'infractions au droit international, crimes de guerre, crimes contre l'humanité, crimes d'agression, génocides, infractions aux conventions de Genève de 1949, sans aucune immunité.» Le colloque de Rome était arrivé aux mêmes conclusions. Aussi, il ne faut pas voir dans la manoeuvre des promoteurs de la fameuse loi du 23 février 2006 (coïncidence bizarre avec l'Assemblée générale de février 1962 de l'ONU qui a condamné la France) de simples manipulations de l'opinion française par des politiques angoissés par les échéances électorales de 2007. C'est bien plus, et si manoeuvre il y a, elle vise à tronquer la mémoire commune de deux peuples: algérien et français. Comptant sur le temps et l'amnésie voulue des nouvelles générations, les nostalgiques de l'Algérie française ont voulu remettre à jour la culture de la haine et de la vengeance. L'Algérie d'aujourd'hui peut pardonner, pour peu que l'histoire soit réhabilitée, mais elle ne peut oublier. C'est trop récent, acteurs et victimes de la guerre sont encore vivants. Mais au-delà des faits de guerre, la colonisation française en Algérie a été, à la différence des autres occupations, une colonisation de peuplement. Les colons ont délesté par mille et un stratagèmes juridiques et par la force, les Algériens de leurs terres. 99% des Algériens étaient des paysans. Ils se sont retrouvés sans terres, livrés à l'esclavagisme dans les villes et fermes de colons, et plus tard, en grande partie, ouvriers et souvent SDF. Les relations sociales, culturelles, la structure même de la famille algérienne organisée au XIXe siècle autour de la terre a volé en éclats dès lors qu'ils ne la possédaient plus. Sans repères, sans matrice nourricière (physique, culturelle et spirituelle), le peuple allait disparaître en tant que producteur de civilisation propre. C'est en ce sens que les Algériens peuvent prouver qu'il y avait bien tentative de génocide par la France coloniale. Quant aux crimes de guerre et crimes contre l'humanité, ils resteront gravés à jamais dans la mémoire des archives de l'ONU. Et de la mémoire collective des Algériens.