Qualifié de «sûrement le plus important intellectuel vivant», Noam Chomsky décrit le terrorisme dans Failed States comme «l'arme des puissants». Le Failed States: The Abuse of Power and the Assault on Democracy de Noam Chomsky est, depuis peu, disponible en français. Un des penseurs américains les plus lus dans le monde actuellement et symbole planétaire de la résistance intellectuelle, ses livres constituent souvent un événement. Et ce Failed States ne déroge pas à la règle. L'ouvrage constitue une attaque en règle de nombreux aspects de la politique menée par le gouvernement Bush. Il concerne également le Moyen-Orient. Cet intellectuel juif s'y montre très critique envers les récents gouvernements qui se sont succédé en Israël. Passages-clés. Abordant un sujet d'apparence innocent, celui des formules et expressions en usage chez les puissants, Chomsky rappelle que l'expression «façade arabe» vient du secrétaire des Affaires étrangères britannique Lord Curzon après la Première Guerre mondiale. «A cette époque-là, quand les Britanniques projetaient l'organisation du Moyen-Orient, leur idée était qu'il devrait y avoir des façades arabes ayant des gouvernements apparents, derrière lesquels ils dirigeraient». L'expression «Le flic local fait sa ronde» vient de l'administration Nixon. C'était leur conception de la façon dont le Moyen-Orient devait être dirigé. Il devait y avoir une région périphérique d'Etats-gendarmes (la Turquie, l'Iran sous le shah, Israël jointe après la guerre de 67, le Pakistan y était pendant un certain temps). Ces Etats devaient être les flics locaux faisant leur ronde, tandis que les Etats-Unis seraient le quartier général de la police. A la question de savoir ce qu'attend l'administration US par le biais de son GMO aujourd'hui, Chomsky précise que la question de la Syrie étant à part, les USA attendent du Liban qu'il joue un rôle de mise sous pression de la Syrie. Cependant, le problème pour les Etats-Unis est que la Syrie n'est pas un Etat subordonné. On peut faire des tas de critiques sévères au sujet de la Syrie mais les problèmes internes de ce pays n'inquiètent pas spécialement les USA, qui soutiennent des gouvernements beaucoup plus brutaux. Le problème avec la Syrie est qu'elle ne se subordonne tout simplement pas au programme US dans le Moyen-Orient. La Syrie et l'Iran sont les deux pays de la région qui n'ont pas accepté les arrangements économiques US. Et les politiques contre ces pays sont similaires. Est-ce que l'Iran est plus brutal et moins démocratique que le reste du monde arabe? C'est une blague. Le problème est que l'Iran ne se subordonne pas. Concernant une lecture de la classification américaine des Etats alliés ou ennemis, Chomsky dit que si on lit la dernière «National Security Strategy», la Chine est identifiée comme la principale menace à long terme pour les Etats-Unis. Ce n'est pas parce que la Chine va envahir ou attaquer qui que ce soit. En fait, de toutes les importantes puissances nucléaires, elle est celle qui est la moins agressive, mais elle refuse tout simplement de se laisser intimider, pas seulement pour sa politique concernant le Moyen-Orient, mais aussi en Amérique latine. Alors que les Etats-Unis essaient d'isoler et de fragiliser le Venezuela, la Chine se met à investir là-bas et à importer du Venezuela, sans s'occuper de ce que disent les USA. L'ordre international fonctionne en un sens un peu comme la mafia. Le parrain doit s'assurer que la discipline règne. Chomsky estime que l'Europe poursuit tranquillement ses propres intérêts économiques, tant qu'ils n'entrent pas directement en conflit avec ceux des Etats-Unis. Même dans le cas de l'Iran, bien que les principales sociétés européennes se soient complètement retirées du pays, et que l'Europe ait cédé sur ses négociations avec Téhéran au sujet de l'uranium enrichi, néanmoins, l'Europe maintient fermement ses relations économiques avec l'Iran. Pendant des années, les Etats-Unis ont aussi essayé d'empêcher l'Europe d'investir à Cuba, et l'Europe ne s'en est pas trop rapprochée, mais un peu quand même. Parlant de ce qu'on a appelé un «soulèvement planétaire contre les Etats-Unis», Chomsky affirme que le lien commun qui les unit est qu'ils ne se sont pas subordonnés au pouvoir US. Le Hezbollah sait parfaitement bien qu'il ne va recevoir aucune aide du Venezuela, mais le fait que tous deux suivent leur cours indépendamment du pouvoir US, et en fait, en se méfiant des ordres US, les relie. Les Etats-Unis ont essayé, en vain, depuis plus de quarante-cinq ans, de renverser le gouvernement cubain, et il est toujours là. La montée au pouvoir de Chavez a fait très peur aux élites US. Il avait un énorme soutien populaire. Le niveau du soutien au gouvernement élu au Venezuela a grimpé brusquement et il est maintenant le plus haut de l'Amérique latine. Et Chavez suit son cours indépendant. Il fait un tas de choses que les Etats-Unis n'aiment pas du tout. Par exemple, l'Argentine, qui s'est ruinée complètement en obéissant aux ordres du FMI, s'est reconstruite lentement en rejetant les règles du FMI, et a voulu se débarrasser de ses dettes envers le FMI. Chavez l'a aidée, et il a acheté une part substantielle de la dette de l'Argentine. Se débarrasser du FMI signifie se débarrasser de l'une des deux modalités de contrôle employées par les Etats-Unis: violence et force économique. La Bolivie a nationalisé ses réserves de gaz; les Etats-Unis sont opposés à cela. Et la Bolivie a pu faire cela en partie grâce au soutien du Venezuela. Si des pays se dirigent en direction d'un nationalisme indépendant, cela est considéré comme inacceptable. Pourquoi les USA ont-ils voulu détruire Nasser? Etait-ce parce qu'il était plus violent et tyrannique que d'autres dirigeants? Le problème est que c'était un nationalisme laïc indépendant. Cela ne peut pas du tout être accepté.