Cette religion est prise en tenaille entre la mission sécuritaire des ministres de l'Intérieur français et leur volonté d'organiser l'Islam. L'image d'un Islam civilisationnel et rationnel dérange en France, laissa entendre, sans détours ni faux-fuyants, Soheib Bencheikh, recteur de la mosquée de Marseille, invité par L'Expression. Sur sa lancée, visiblement mécontent, il a renchéri en mettant en évidence le fait que l'organisation de cette religion en Hexagone soit toujours liée à la volonté des ministres de l'Intérieur. Au temps de Jean-Pierre Chevènement, ex-ministre français de l'Intérieur, l'on proposait d'ouvrir, avec les dirigeants des six fédérations cultuelles musulmanes, un processus de consultation, afin de rechercher les conditions dans lesquelles pourrait naître une instance centrale représentative du culte musulman en France. Cette religion est donc prise en tenaille entre la mission sécuritaire des ministres de l'Intérieur français et leur volonté d'organiser l'Islam. Parlant en connaissance de cause, et le verbe bien soigné, le recteur de la mosquée de Marseille s'indigne de voir l'Islam «ghettoïsé» en France. Cette formule cache une réalité amère mais bien connue des responsables français. «Pendant plus d'une vingtaine d'années, l'Islam était la deuxième religion de l'Etat français, mais une religion de garages et de caves». C'est pourquoi l'Islam est victime d'une incompréhension, voire même d'une «ghettoïsation voulue». Ainsi, au lieu de «combattre la discrimination, Sarkozy ne fait que la contourner». l'Islam, poursuit Soheib Bencheikh, invité au forum «A coeur ouvert» de L'Expression, est victime aussi du terrorisme et des écrits. Il est aussi et en fin de compte en manque d'une bonne presse en Occident. De l'autre bout de la corde, «cette religion est aussi victime d'un manque de civisme chez les musulmans». Mais quel est l'Islam voulu par la France d'aujourd'hui? Une chose est sûre, «l'Etat français n'a ni race ni religion, à en croire la Constitution». Mais, théologiquement, non seulement la France mais c'est l'Occident entier qui est tiraillé par l'inquiétude et une ambiance tendue entre musulmans et chrétiens. Autrement dit, ce sentiment de crainte est véhiculé par le prétexte selon lequel les «musulmans sont allés compléter, voire même corriger, les autres religions». C'est l'image entretenue depuis des années pour justifier la politique de répression. C'est ce qui explique, par ricochet, pourquoi l'idée d'un Islam émancipé dérange en France ou ailleurs en Occident. Le recteur de la mosquée de Marseille pense que «nous vivons une période-tunnel caractérisée par un malaise, l'incompréhension et l'inquiétude». C'est pourquoi un Islam adapté aux réalités de chaque société s'avère être l'issue unique. Car, le dialogue des religions n'est, en fin de compte, qu'un fantasme. Pourquoi dialoguer? C'est la question que se pose l'invité de L'Expression. Dialoguer sur le plan théologique n'est du ressort que de l'élite, et si c'est pour vivre ensemble on est déjà ensemble, a-t-il répondu. Après quoi, «l'Eglise n'a pas encore clarifié sa position par rapport à l'Islam. On se demande comment peut-on construire ce dialogue des religions». Ainsi, les chrétiens de leur côté «ont perdu les clés de leur religion». A l'horizon, au moment où musulmans et chrétiens s'enlisent dans l'incompréhension, un autre danger pointait telle une tornade, l'indifférence religieuse qui menaçait l'Islam et le christianisme. Soheib Bencheikh prône un islam émancipé, rationnel et civilisationel adapté à la réalité et aux spécificités de chaque société. Cette image devra, à coup sûr, dissiper le nuage mais dérangera certainement les Occidentaux qui entretiennent, sans relâche, l'image d'un Islam «violent et intolérant».