La littérature africaine a traité avec lucidité et courage une crise identitaire majeure. Dans son ouvrage Regards sur les littératures d'Afrique, Amina Azza Bekkat, professeur à l'université de Blida relève cette observation générale: «Le monde, avant la colonisation, était heureux et paisible comme le sont les rêves de bonheur.» Elle analyse longuement, patiemment, par touches délicates tout ce qui construit et constitue la sensibilité de l'âme africaine; elle tente de montrer avec des exemples précis combien «les grandes figures du passé étaient un objet de fierté et de reconnaissance unanime». Il me semble que depuis quelque temps, mais encore modestement -pour ne pas dire timidement- quelques-uns de nos chercheurs découvrent un champ bien particulier à cultiver et à nous le faire connaître avec le langage confortable de la clarté. Ce champ est celui de la littérature identitaire qui ose puiser dans la société pour la décrire en toute conscience et, ce qui n'est pas superfétatoire, en toute honnêteté, c'est-à-dire sans complexe, sans recourir à la «scientifique» influence de certains auteurs étrangers qui ont, dois-je dire, réussi à se faire proclamer spécialistes absolus de notre histoire, de notre culture, de notre société,...de ce que nous sommes nous-mêmes. Sans doute, il n'est pas question de renier, de refuser systématiquement les apports, souvent fort intéressants, souvent fort utiles à notre propre formation, de nombreux chercheurs ayant fixé des règles universelles d'analyse et exprimé des pensées justes; il est maintenant temps de nous dire nous-mêmes, de dire qui nous sommes. Je trouve, en effet, étrange que pour comprendre nos auteurs, nous devrions passer nécessairement par des spécialistes étrangers par nature, par formation et par sensibilité. Encore une fois, les apports de ces spécialistes peuvent nous combler de satisfaction en matière de pensée universelle, pour apprendre des méthodes, élaborer des concepts, que sais-je encore?...Mais pour expliquer les oeuvres de nos romanciers, de nos poètes, de nos historiens, de nos sociologues,...de nos créateurs dans tous les domaines de la culture et de la science, je demande une contribution abondante à nos hommes de culture. Eux sont les meilleurs pour étudier nos sociétés, pour rechercher les traces de nos ancêtres qui sont «l'essence» de notre authenticité et dégager des conclusions qui deviennent autant de phares éclairant à la fois notre héritage historique, le présent qui nous presse et l'avenir que nous nous promettons. Aussi, le travail exceptionnel que nous offre Amina Azza Bekkat, docteur d'Etat en littérature francophone, est-il à recommander à nos jeunes chercheurs comme un essai de qualité. J'y vois la volonté d'instruire par le texte, preuve intangible de la vivacité de nos sources naturelles et de nos ressources intellectuelles, la volonté de mettre au net les idées reçues bonnes ou mauvaises -mais, de temps à autre, au moins une fois-, je les voudrais authentiques, enfin montrées, démontrées, par ceux qui sont dans le temps et dans le ton de l'événement. Autrement, quel bénéfice, au vrai, nous procure une information de tel auteur étranger sur nous-mêmes, si un auteur algérien ne sait pas dire, ne veut pas dire ou ne peut pas dire ce que nous sommes? Le silence de la mer du côté de Tipaza, par exemple, le silence des cendres du côté des Hautes Plaines, le silence des sables quelque part dans le Sahara, sont évidemment plus sensibles à notre coeur qu'à notre regard, - nos chercheurs le prouveront. C'est pourquoi, au-delà des Regards sur les littératures d'Afrique d'Amina Azza Bekkat, il y a un enseignement, plus qu'une leçon, me semble-t-il. Je pense que les littératures d'Afrique, justement par leur complexité, leurs diversités, leurs symboles qui claquent comme des drapeaux dans les vents de révolte, d'évolution et d'affirmation des écrivains africains, se libèrent du discours et même de l'écriture qui ne ressemblent en rien ni à leurs terres, ni à leur société, ni à leur ambition. N'est-ce pas aussi cela le secret de l'authenticité des littératures africaines: chasser le démon?