Il y a 13 ans, le 28 février 1989, disparaissait à jamais, sous le coup d'un Foehn, Mouloud Mammeri, l'un des géants de la littérature algérienne de graphie française et l'un des piliers de la recherche amazighe. L'homme était immense, prolifique aussi bien dans l'écriture «française» que dans ses recherches sur tamazight. La mort en a fait un être d'exception. Il repose depuis, du sommeil du juste dans un petit cimetière de la colline oubliée après la douloureuse traversée. Sous le coup d'un foehn mauvais, il a voulu, en somme, fuir le monde de l'opium et du bâton vers le royaume de la paix céleste. Ameur des Arcades retrouvera, là-bas, aussi bien le Dr Bachir Lazrak, que Mouh et la joyeuse bande qui, dans la colline oubliée, animait les «Ourars», que Mentezuma de la Traversée. Bou-Akkaz, l'homme à la canne, de son «surnom», lors de la guerre de libération, quand il préparait pour M'hamed Yazid, notre représentant à l'ONU, des rapports sur l'épopée libératrice, a laissé, c'est certain, un grand vide aussi bien dans les milieux populaires que dans les cercles culturels. Le Gourara pleure encore le vieux Amghar, qui se passionnait pour la région, il en avait rapporté: «L'ahellil du Gourara», un recueil des traditions culturelles du Gourara qu'il affectionnait tant. L'écrivain s'était également penché, à la façon de l'ethnologue, sur le fonds culturel kabyle. Dans son oeuvre parue post mortem: «Inna yès Ccix Muhand», il a réussi à sauver des pans entiers de l'oeuvre et de la vie du Cheikh Mohand ou l'Hocine, le chêne des traditions anciennes. Il a, aussi, rendu un hommage aux poètes kabyles dans son ouvrage, Les poètes kabyles anciens. Youcef ou Kaci, l'homme au verbe ailé des Ath Djennad a été sauvé de l'oubli. Cet ouvrage a, à sa façon, participé au déferlement des masses kabyles, et il est aussi, l'étincelle qui avait allumé les fanaux du printemps amazigh. Un printemps que Mammeri, Dda L'Mulud pour les jeunes, a savouré à sa façon. En effet, c'est en produisant plus et en se penchant sérieusement sur le passé, que Mammeri parlait de l'avenir. Avec passion, il s'était occupé de «tajérumt»: une des premières pierres de la grammaire de la langue tamazighe. Son engagement culturel lui avait valu bien des déboires, de l'interdiction de la chaire de berbère à l'université d'Alger à sa condamnation. Dans un brûlot resté indélébile, paru dans le quotidien de l'époque, Mammeri avançait avec une foi inébranlable en la culture populaire. Une culture qui, selon lui, «n'aimait pas trop les palais» qu'à l'époque uniciste, «l'on construisait pour l'enfermer!». Apparaissant de son vivant, comme «un phare dans le brouillard » pour la génération du Printemps berbère, Mammeri avait pesé de tout son poids pour que tamazight, une fois sauvée de la tourmente et des vents contraires, échappe à toute exploitation politicienne. Cette position n'avait fait que renforcer sa stature, et lors de son enterrement, un enterrement grandiose au-delà de la Kabylie, on avait, alors, remarqué que c'était l'Algérie dans toute sa diversité qui pleurait le chêne abattu par un malheureux coup de vent, alors qu'il rentrait du Maroc. La route Aïn Defla-Alger se souvient...