D'importantes forces de sécurité ont été déployées dans les villes depuis l'attentat du kamikaze à Casablanca. Un début d'actions terroristes pris très au sérieux par les autorités. Ce qui fait trembler le royaume chérifien, c'est, au-delà de la menace intégriste qui devient réelle, le mode opératoire choisi par les terroristes, celui du danger kamikaze, ces bombes humaines si efficacement mises en oeuvre en Israël ou en Irak. Si, en effet, la situation du royaume ressemble à celle de ces derniers pays, c'est qu'il y a péril en la demeure. En Israël, on le sait, les jeunes Palestiniens n'ont pas d'autre choix, devant la répression féroce du gouvernement Olmert et l'armada israélienne, que de multiplier les attentats suicide pour espérer libérer leurs territoires occupés. En Irak, les horizons sont tout aussi bouchés; après dix ans de boycott, trois guerres (contre l'Iran, puis deux contre les forces internationales coalisées menées par les Américains), le pays est au bord de l'implosion sous l'effet des forces centrifuges multiples (occupation étrangère, violences ethniques chiites et sunnites), autant de raisons qui expliquent l'activisme d'Al Qaîda, des groupes baathistes ou des milices chiites. Qu'est-ce qui peut motiver au Maroc la montée de la violence intégriste, adoubée à un mode opératoire aussi radical que celui des bombes humaines? La question mérite d'être posée. La sonnette d'alarme a été tirée depuis au moins l'année 2003, où un attentat avait fait 45 morts à Casablanca. Et le royaume n'a rien fait pour améliorer la situation politique et économique du pays. L'accession au trône du jeune roi Mohammed VI, qui avait été salué par de nombreuses voix qui avaient espéré un vent de changement et de démocratie dans le pays, a vite tourné au pessimisme, au point que des pontes du régime, comme Driss Basri, ont fui le royaume, défrayant la chronique par des révélations sulfureuses sur les moeurs politiques du pays, avant d'être rejoint en exil par le propre frère du souverain, le désormais ex-prince héritier Moulay Rachid. On pourra nous rétorquer que ce ne sont là que des luttes du palais, n'intéressant pas la majorité de la population. Elles sont en tout cas révélatrices de l'atmosphère délétère qui prévaut dans le royaume. Ce qui est grave, ce n'est pas le fait qu'un kamikaze se soit fait exploser dans un cybercafé en actionnant la bombe qu'il dissimulait sous ses vêtements. Non, ce qui pose problème, et qui est révélateur de l'état de pourrissement auquel est arrivée la situation au Maroc, c'est la banalisation d'un tel acte et le fait qu'il existait des signes avant-coureurs annonçant un tel processus et une telle issue. Les problèmes sociaux, la cherté de la vie, le verrouillage des canaux d'expression démocratique, la caporalisation des médias, tous supports confondus, l'autoritarisme outrancier dont fait preuve le régime, après avoir donné dans un premier temps des signes d'ouverture, sont les causes principales qui ont entraîné le pays dans la spirale de la violence. Cela veut dire tout simplement que Al Qaîda d'Oussama Ben Laden a trouvé le terreau idéal dans lequel il a semé les germes de la haine et de la violence. Ayant longtemps considéré l'Algérie comme un laboratoire à ciel ouvert, le royaume est malheureusement en train d'expérimenter sur son propre territoire ce bébé éprouvette qu'est le terrorisme intégriste, et qui se développe à l'aise dans le ventre de la misère, de la dictature, et des facilités qui lui sont octroyées par les régimes pour croître et faire sa propagande. Est-ce un hasard si la chaîne Al Jazeera, émettant à partir du Maroc, passe en boucle les vidéos du Gspc faisant l'apologie des derniers attentats commis en Algérie? Quant aux terroristes de Casablanca, n'étaient-ils pas venus dans un cybercafé pour consulter des sites djihadistes? Pour reprendre les termes du journal Aujourd'hui le Maroc, le cybercafé est devenu un lieu emblématique et incontournable du terrorisme d'aujourd'hui: on y reçoit des ordres, les modes d'emploi, la formation, l'agenda, etc. C'est le passage obligé pour aller au paradis ou en enfer. Quant à Libération, il établit un parallèle entre l'attentat de dimanche, ceux du 16 mai à Casablanca (exécutés dans la même ville, également vers 22h GMT) et ceux de Madrid de 2004, exécutés eux aussi un 11 mars, avant de conclure: «Cela se passe de tout commentaire, les apologistes de la haine et du sang vivent parmi nous.» Ce que l'on peut remarquer à travers les commentaires de la presse marocaine, c'est que tous, d'une manière ou d'une autre, essaient de rejeter la responsabilité de la violence sur la main extérieure, notamment El Zawahiri et le Gspc, qui vient de se rallier à Al Qaîda en créant une branche pour le Maghreb islamique, allant jusqu'à pointer du doigt, dans un délire qui perd la raison, en direction du Polisario. Alors que chacun sait que le peuple sahraoui mène une lutte d'indépendance, et qu'il n'a rien à voir avec le terrorisme. En revanche, le Maroc serait mieux inspiré de chercher dans sa politique de verrouillage et de déni des libertés sociales et politiques les raisons de son échec et de l'explosion sociale que connaît le pays. Il suffit de jeter un coup d'oeil rapide sur ce qui s'est passé tout au long de ces dernières années, pour comprendre la montée de l'intégrisme au Maroc. Ce qui a amené un centre de recherche américain Stratfor à écrire que les services de renseignements américains redoutent un tsunami fondamentaliste, depuis le ralliement le 11 septembre dernier du Gspc à Al Qaîda, acceptant de sous-traiter pour le compte d'Oussama Ben laden, de fédérer les groupes islamistes du Maghreb sous la houlette d'Al Qaida, dont le Groupe islamique combattant du Maroc (Gicm), responsable présumé des attentats de Madrid de 2004, ainsi que le Groupe islamiste combattant de Libye. La mission affectée par El Zawahiri lui-même consiste à ouvrir un front plus proche de l'Europe. Voilà pour ce qui est des explications internationalistes, qui ont leur part de vérité, mais qui occultent superbement les problèmes sociaux des Marocains et les atteintes aux libertés démocratiques dans le royaume.