S'il est encore trop tôt pour désigner les commanditaires et les exécutants de la série d'attentats qui ont frappé vendredi soir la ville de Casablanca, tout porte à croire que le crime porte la signature de l'organisation terroriste d'Oussama Ben Laden. Petit rappel des faits. Juin 2002. Les autorités marocaines annoncent le démantèlement d'une “cellule dormante” liée à Al-Qaïda. Les prévenus envisageaient de s'en prendre à des navires de guerre américains et britanniques basés au large de Gibraltar. Leurs cibles comprenaient également des transports marocains ainsi que des cafés situés sur la célèbre place de Djemaa El Fna à Marrakech. Celle ville fut, rappelons-le, au cœur d'un attentat sanglant perpétré en juin 1994. Le Maroc avait alors accusé les services algériens d'être derrière le coup. On saura plus tard qu'il n'en était rien. Qu'en est-il des attentats de ce vendredi ? Le coup pourrait-il donc venir des réseaux islamistes marocains ? Rien n'est moins sûr. Certes, la presse marocaine a fait état, à maintes reprises, de l'existence de cellules terroristes ayant à leur actif plusieurs attentats commis dans diverses régions du Maroc. Cependant, l'ampleur de ces actes, généralement dirigés contre des femmes et des personnes jugées “coupables de comportements contraires à l'islam”, confirme uniquement l'existence d'une réelle menace interne visant à déstabiliser le royaume chérifien. Quand bien même de nombreux spécialistes admettent que l'islamiste armé peut constituer à moyen ou à long terme un vrai danger. Quand bien même les observateurs s'accordent à croire que la mouvance islamiste marocaine est susceptible de déstabiliser les fondements du royaume marocain. D'où pourrait, dès lors, provenir la menace ? Vraisemblablement des réseaux liés à Oussama Ben Laden. A en croire des rapports des services de renseignements occidentaux, plus d'une centaine de terroristes marocains, vétérans de l'Afghanistan, ont pu regagner le royaume au début de l'année 2002. Les vétérans n'ont sans doute pas perdu trop de temps pour se faire remarquer. Dans leurs plans, ils avaient planifié de porter un sévère coup aux intérêts américains implantés au Maroc. D'où le coup de filet opéré par les services de sécurité marocains en juin de la même année. Al-Qaïda est-elle en mesure aujourd'hui de commettre des attentats au Maroc ? Oui. Parce qu'il existe un grand faisceau de présomption lié à cette organisation. En février 2003, Oussama Ben Laden avait clairement pris pour cible le Maroc. Dans un enregistrement vidéo attribué au chef de cette mouvance, Ben Laden menace de frapper ce pays qu'il accuse d'être un régime “apostat” dont il dénonce “les alliances avec les Etats-Unis”. Hélas, on se rend compte aujourd'hui que la menace n'a pas été prise au sérieux. Tout comme celles qui ont visé le Kenya, la Tunisie, l'Indonésie et tout récemment l'Arabie Saoudite, des pays essentiellement visés par des attaques terroristes durant les vingt derniers mois. Pourquoi privilégier maintenant la piste Al- Qaïda plus qu'une autre ? D'abord par la similitude des faits. Que le crime soit perpétré à Bali, à Djerba, à Riyad, à Karachi, ou à Casablanca, il comporte les mêmes indices, le même mode d'emploi : des attentats perpétrés par des kamikazes et des voitures piégées stationnées à l'entrée d'importants immeubles et édifices publics fréquentés par des ressortissants occidentaux. C'est là que réside la signature d'Al-Qaïda : agir au cœur des intérêts occidentaux où qu'ils se trouvent et agir avec tous les moyens humains et matériels. Tel est le label de cette organisation. Vendredi soir, les terroristes ont frappé au cœur de la capitale économique du Maroc, de la même manière et avec les mêmes instruments de terreur. S'il est encore trop tôt pour désigner Ben Laden comme étant le principal commanditaire de cette série d'attentats qui ont frappé le Maroc, il n'en demeure pas moins une grande évidence : Al Qaïda est en mesure d'agir d'une façon efficace et meurtrière. Et cela, en dépit de la traque mondiale dont elle fait l'objet depuis plusieurs années. Précisément, depuis le 11 septembre 2001. Pour preuve : dans un rapport rendu public le vendredi 16 mai 2003, l'Institut international d'études stratégiques (IISS) affirme qu'Al-Qaïda reste “puissante” et son démantèlement pourra prendre “une génération”. Les rédacteurs indiquent également que cette organisation peut compter sur un potentiel de 18 000 terroristes ayant transité par des camps d'entraînement basés en Afghanistan. L'IISS estime que ce réseau terroriste s'est “maintenant reconstitué et agit différemment, mais de façon plus insidieuse et tout aussi dangereuse” qu'avant les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. “Al-Qaïda reste une organisation terroriste transnationale dont le démantèlement prendra peut-être une génération”, ajoute le rapport. Voilà donc une menace, une vraie, à prendre très au sérieux. Même si demain, les conclusions de l'enquête sur ces attentats de Casablanca aboutissent à une autre piste. F. A.