Ils opèrent un retour de plus en plus manifeste dans le royaume chérifien. Le Maroc connaît ces dernières années, une montée inquiétante des mouvements islamistes radicaux. Outre les partis politiques et les associations tolérés par le roi Mohamed VI, de nombreux groupes et organisations intégristes ont investi le terrain d'une réalité politico-économique des plus détériorées. Le putsch avorté avant-hier, a montré la grande influence dont dispose le mouvement islamiste dans les appareils les plus sensibles de l'Etat marocain. Depuis les attentats meurtriers de Casablanca qui ont eu lieu le 16 mai 2003, beaucoup d'illusions se sont dissipées. En moins d'une heure, l'image d'un Maroc rassurant et indemne du fléau islamiste a disparu en un clin d'oeil. L'attentat qui a atteint cinq cibles dans le centre de Casablanca, la capitale économique du royaume, a provoqué, faut-il le rappeler, 43 morts dont les 13 jeunes kamikazes qui ont exécuté l'opération et plus d'une centaine de blessés. Le Maroc est tombé, ce soir-là, dans une violence aveugle dont les autorités commencent tout juste à mesurer les conséquences. Malgré les paroles apaisantes des dirigeants, les attentats ont induit des conséquences désastreuses sur le plan politique et économique. Un Maroc idéalisé, qui aurait réussi la synthèse miraculeuse de la modernité et de la tradition, a littéralement explosé. Il y aura un Maroc d'avant le 16 mai et un Maroc d'après le 16 mai 2003. La scène politique marocaine est animée par plusieurs mouvances islamistes agrées. Il s'agit en premier lieu du PJD (Parti de la justice et du développement) qui détient une quarantaine de siéges au Parlement et de l'association Justice et bienfaisance (al adawa wal ihsane). Les deux mouvements disposent d'une emprise assez importante sur une large frange de la population marocaine. Mais à côté de cet islamisme de connivence, il existe un autre courant radical. Un courant issu du wahhabisme saoudien, qui se nourrit des prêches de prédicateurs aussi jeunes qu'exaltés faisant à longueur de prêches, l'éloge des vertus de Oussama Ben Laden. Des groupuscules indépendants les uns des autres sont nés à Fès, à Tanger, à Casablanca et dans la majorité des villes et villages du royaume. Les islamistes opèrent un retour de plus en plus manifeste dans le royaume chérifien. Entre actions punitives, communautarisme et pélerins-prêcheurs, ils réapparaissent dans le paysage social au Maroc. C'est dans les milieux miséreux et opaques, mal cernés par les services de sécurité, que l'islamisme violent prend ses racines. C'est là que les kamikazes du 16 mai 2003 ont été recrutés. C'est dans ces mêmes milieux que les nouveaux maîtres de la société marocaine appliquent leur loi. Ça ressemble étonnamment à l'Algérie du début des années 90. La «Nassiha» ou le conseil religieux, une pratique rare depuis les attentats de Casablanca, est réapparue en force ces derniers temps Celle-ci consiste pour des pèlerins-prêcheurs à sillonner les rues pour inciter les jeunes à «reprendre le droit chemin». Ces individus sont aussi connus des services de l'ordre et de l'opinion publique comme des éléments actifs dans le recrutement de militants fragiles, faciles à endoctriner. Un certain Abou Lyakdane en avait fait de même avec la cellule qui s'est faite exploser à Casablanca. Mais chez lui, les recrues n'avaient pas été invitées qu'à faire leurs ablutions. Une semaine avant les attentats, il leur avait interdit d'en sortir jusqu'à commettre l'irréparable. Les exemples ne manquent pas dans ce Maroc de 2006 où des barbus font la loi: un couple s‘est fait surprendre par cinq individus armés de sabres et de couteaux. Le jeune homme essaie de s'interposer, mais il se fait brutaliser, lui et sa petite amie. Plus tard, le jeune homme, en se confiant à un ami, dira que ses assaillants étaient tous des barbus: «Des islamistes, qui, avant de me frapper, m'ont abreuvé ainsi que ma copine, avec le vocabulaire canonique qu'on leur connaît».L'incident est clos. Aucune plainte n'a été déposée. Mais dans la petite localité de Makrat à Casablanca, le lieu de cet incident, l'on sait dorénavant que les islamistes sont de retour, du moins dans les plages qu'ils s'accaparaient avant les attentats de Casablanca. Plusieurs témoignages évoquent des incidents en début d'année qui ont nécessité l'intervention des forces de sécurité. Des couples ont été victimes des fameuses sorties punitives des intégristes. Les descentes punitives ont pour but de lutter contre la «prolifération du mounkar» (le péché). Lors des procès qui ont suivi les attentats du 16 mai, ces descentes avaient largement été relatées. Le groupe de Youssef Fikri et Mohamed Damir tous deux condamnés à mort pour l'assassinat d'un notaire à Casablanca s'en était fait une spécialité. Ces groupes salafistes battent, dépouillent et tuent ceux qui, à leurs yeux, commettaient l'irréparable dans la pénombre des ruelles. À Fès, Marrakech, Tanger...des incidents similaires impliquant d'autres groupuscules, marquent un retour actif des intégristes.