La loi sur la santé mentale adoptée n'a jamais été mise en application. Six cents personnes sur les 1885, toutes catégories confondues (SDF, mendiants, malades mentaux...), recensées durant l'année 2006 par les services du Samu social et transférées au centre d'accueil de Dély Ibrahim, ont été identifiées comme étant des fous errants. Ils proviennent de pratiquement tout le territoire national, 45 wilayas au total. Quels sont les droits des aliénés mentaux errants? Quelles sont les structures existantes pour leur prise en charge? Invité par la Chaîne III pour débattre de ce phénomène, le ministre de la Solidarité nationale a déclaré ne pas être concerné par ce type de problèmes. Sans commentaires. Le Samu social qui sillonne les rues d'Alger avec une caravane et une ambulance, procède au ramassage de ces populations errantes, sans domicile fixe, deux fois par jour. Cependant, les services sanitaires de la wilaya d'Alger chargés de la prise en charge de ces personnes, ne disposent que de 216 places pleines qui ne peuvent être occupées que provisoirement et pour un court séjour. La direction de la santé de la wilaya d'Alger qui développe des efforts extraordinaires pour parer à ce phénomène, semble dépassée par les moyens dérisoires de ses structures inadaptées qui font sentir l'urgence d'une mise à niveau inévitable pour cesser de parer uniquement au plus pressé. Apporter des solutions pérennes qui mettront fin au bricolage ainsi qu'au provisoire. Place donc à des structures appropriées dotées d'un personnel performant, assistantes sociales, éducateurs, médecins, psychiatres...Les structures de prise en charge des personnes atteintes de maladies mentales sont au nombre de quatre au niveau de la wilaya d'Alger et accueillent l'ensemble des malades du territoire national qui sont en général orientés vers la capitale, supposée mieux pourvue en moyens. Drid Hocine, Bab El Oued, Chéraga et l'hôpital Mustapha. Les séjours dans les services de ces hôpitaux, spécialisés en psychiatrie, ne peuvent excéder deux à trois mois. Souvent abandonnés, livrés à eux-mêmes, sans prise en charge suivie, les patients ne peuvent que rechuter. Selon le professeur Farid Kacha, spécialiste en psychiatrie: «Ils se retrouvent souvent dans la rue à la suite de la rupture des liens familiaux. Les séjours au sein de ces structures deviennent néfastes puisque les familles interrompent brutalement et volontairement la prise des traitements prescrits par les médecins afin que leurs malades reprennent le chemin vers ces structures. Ils deviennent des charges dont ils ne veulent assumer la responsabilité». Pris dans l'étau de la désocialisation, la situation du malade empire. Dans cet engrenage irréversible, il sombre dans la «folie» totale. Inconscient de ses faits et gestes, il devient un danger pour la collectivité, faute, dans la plupart des cas, de ne pas avoir été pris en charge à temps, en plus d'avoir été lâché par les siens. «Pas un seul lit n'a été ouvert depuis l'indépendance à nos jours pour la prise en charge de ce type de population», nous fait savoir le professeur Farid Kacha. Alger et ses environs regorgent de cette partie de nous-mêmes, de ces «fous» qui ont fini par faire partie du décor et de notre environnement. Ils ne dérangent que lorsque leur violence contenue s'exprime, comme pour se rappeler à nous. Et cela crée des situations psychologiques dramatiques. Meriem, une victime de ce type d'agression, témoigne: «Je marchais tranquillement dans la rue lorsque j'ai reçu un violent coup de poing au visage par un malade mental». Un coup de poing qui a entraîné des séquelles et un choc psychologique aux conséquences surprenantes. «Pour rien au monde je ne remettrais les pieds dehors», ajoute-t-elle visiblement encore sous le choc. Les services de police interviennent dans des cas d'extrême urgence, comme le confirme M.Ahmed Naït Hocine, officier et responsable de la Sûreté publique. «L'intervention de la police s'effectue dans le cas d'une réquisition ou de survenance de troubles graves signalés par les citoyens», précise-t-il. Cependant, le manque de moyens ainsi que l'absence d'équipements adéquats pour mener à bien l'opération de l'approche et de la maîtrise du malade rendent la tâche peu aisée. Une fois l'obstacle de cette étape franchie, il est fait appel au Samu pour son transport vers les services appropriés. En 2006, 500 transports ont été effectués vers les services sociaux suite à des interventions d'urgence pour trouble à l'ordre public, suite à des constats de flagrant délit. 5 personnes par jour sont renvoyées dans leur wilaya d'origine à partir de la gare routière du Caroubier, en vertu de réquisitions dûment établies. La population errante est estimée à 6 700 personnes, selon le chiffre avancé par M.Naït Hocine, composée de 3500 hommes 2200 femmes et 1050 enfants qui refusent de rejoindre les services sociaux et les centres de prise en charge sanitaire. Il faut savoir que la loi sur la santé mentale adoptée n'a jamais été mise en application. La société algérienne en pleine mutation a fait éclater le clan, la tribu, emportant sur son passage les liens de solidarité sur lesquels reposait la famille traditionnelle, cédant la place à plus d'individualisme et à la famille nucléaire, un type d'organisation vers lequel tend la nouvelle cellule familiale algérienne.