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Comment peut-on être Français au XXIe siècle?
Publié dans L'Expression le 05 - 04 - 2007

Ces mots du général résument à eux seuls toute la problématique de la condition «d'être français», tel que le pensait de Gaulle il y a une cinquantaine d'années en plein XXe siècle. Qu'en est-il aujourd'hui de l'identité française au XXIe siècle? Doit-on la circonscrire uniquement aux Gaulois à têtes rondes pour paraphraser San Antonio dans «l'Histoire de France», assiégés à Alésia et qui résistent astucieusement aux Romains, grâce en soit rendue à Astérix et son ami Obélix tombé accidentellement dans la soupière du druide Panoramix? Doit-on, au contraire, faire du désir d'être ensemble le ciment d'une identité du XXIe siècle?
Comment se construit l'identité nationale?
En 1882, Renan pouvait définir la nation comme «une âme, un principe spirituel». Les Français partageaient une même histoire et un égal désir de vivre ensemble. Comment peut-on définir l'identité? D'après le Nouveau Larousse encyclopédique, l'Identité caractérise ce qui est permanent et fondamental chez quelqu'un ou dans un groupe. Si la notion d'«identité nationale» n'apparaît pas dans le dictionnaire, on trouve la notion d'«identité sociale» définie comme la conviction d'un individu d'appartenir à un groupe social, reposant sur le sentiment d'une communauté géographique, linguistique, culturelle, et entraînant certains comportements spécifiques. S'agissant de la Nation: la première acception du mot désigne, au sens large, une grande communauté humaine, le plus souvent installée sur un même territoire et qui possède une unité historique, linguistique, culturelle et économique. En droit, la nation est une communauté politique distincte des individus qui la composent et titulaire de la souveraineté. L'Etat est constitué d'une population, d'un territoire et d'une organisation communs. C'est une institution qui détient le pouvoir et exerce son autorité sur un peuple. Enfin, la République au sens littéral, c'est une forme d'organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l'exercent en vertu d'un mandat conféré par le corps social.
Avant de parler de l'identité, nous allons traiter du sort actuel de ceux qu'elle vise, il est bon de rappeler la condition qui est faite aux immigrés, même naturalisés français, du fait d'un racisme que Pierre Tevenain et Saïd Bouamama, deux sociologues français, qualifient de post-colonial. Ils écrivent: Comment peut-on ne pas parler de racisme? Comment peut-on parler des formes contemporaines du racisme sans évoquer deux de ses principales généalogies: les systèmes esclavagiste et colonial? De ces enquêtes, il ressort, en effet, que, depuis plusieurs décennies, deux phénomènes sont observables: d'une part, les vagues d'immigration les plus récentes sont toujours les plus dépréciées, les plus craintes ou les plus méprisées, les immigrés issus de pays anciennement colonisés, notamment d'Afrique, font exception à cette première règle. Si les immigrants italiens, polonais, arméniens ou portugais ont pu être, à leur arrivée en France, l'objet de discours infâmants et de mesures discriminatoires d'une grande brutalité, souvent comparables par leur forme et par leur violence à ce que subissent aujourd'hui les immigrants post-coloniaux, il n'en est pas allé de même pour leurs enfants, et moins encore pour leurs petits-enfants. On ne peut pas en dire autant des enfants d'immigrés maghrébins ou noirs-Africains, seuls condamnés à l'appellation absurde -mais éloquente politiquement- d'«immigrés de la deuxième ou troisième génération», et aux discriminations qui l'accompagnent (1).
Si le racisme est, selon la formule d'Albert Memmi, «une valorisation généralisée et définitive de différences réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression ou des privilèges»(2), il y a bien un racisme spécifique qui s'est construit comme une légitimation de l'agression et du privilège coloniaux: le racisme post-colonial n'est donc pas une simple survivance du passé. Il s'agit au contraire d'une production permanente et systémique de notre société, les représentations héritées du passé étant reformulées et réinvesties au service d'intérêts contemporains. L'imaginaire colonial se réinvestit notamment dans la manière d'appréhender les situations d'inégalité réelle. Dans le regard du colonisateur, les inégalités produites par le système colonial ne sont pas niées, mais leur genèse est refoulée, et recouverte par une explication biologique ou culturelle: le manque d'ardeur au travail du colonisé n'est, par exemple, pas expliqué par le rapport social colonial, qui impose au colonisé des conditions de travail éreintantes tout en le privant de toute initiative et de toute jouissance du fruit de son travail, mais par la congénitale indolence «de l'Africain» ou par l'incorrigible indiscipline «du Maghrébin.»
Le mot d'ordre d'intégration impose également à ses destinataires une obligation de réserve, de discrétion, voire d'invisibilité. Eric Savarèse a montré comment le regard colonial tendait à invisibiliser le colonisé, ou à en faire le simple miroir dans lequel «la France» contemple son propre génie «civilisateur», et Abdelmalek Sayad a montré que cette invisibilisation était reproduite à l'endroit de l'immigration. Il en va de même aujourd'hui pour les jeunes Français issus de la colonisation: eux aussi sont invisibilisés. Eux aussi sont sommés de ne pas être «ostentatoires». Eux aussi sont les objets d'une injonction à la politesse et la discrétion alors même qu'ils font quotidiennement l'expérience du mépris et de l'injustice sociale. Et toute stratégie de visibilisation de leur part est ressentie comme une menace, un «refus d'intégration» ou un «rejet de la République».
«Si le racisme est le refus de l'égalité, l'intégration est précisément le mot d'ordre qui permet d'évacuer la question égalitaire. En effet, si être «intégré», être «inclus», avoir «sa place» vaut mieux que d'être purement et simplement exclu, ces termes ne disent pas de quelle place il s'agit.
Un serviteur a «sa place», il est inclus et intégré -il n'en demeure pas moins subordonné, méprisé et exploité. Le mot «intégration» n'est, en effet, jamais autant utilisé par l'Etat français que lorsque les colonisés réclament l'égalité des droits, l'autodétermination ou l'indépendance - ou, plusieurs décennies plus tard, à partir de 1983, lorsque leurs descendants «marchent pour l'Egalité».(3).(4)
Tout a commencé il y a quelques mois par une petite phrase: «La France: aimez-la ou quittez-la.» Ce mot d'ordre n'a même pas le mérite de l'originalité. Il a été emprunté à Ronald Reagan, le président Rambo des Etats-Unis de la décennie 1980 (1980-1988) qui entendait par cette formule neutraliser les critiques contre l'aventurisme américain dans la période post-Vietnam. Tout naturellement, la question de l'identité nationale vient de faire son apparition dans la campagne électorale après des déclarations de Nicolas Sarkozy. La proposition d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale, renoue avec une tentation politique plus contemporaine, qui avait saisi la droite dès 1984. Le Front national, inspiré par les penseurs de la Nouvelle Droite, venait alors d'ériger la défense de l'identité française menacée, en cheval de bataille. Le RPR et Valéry Giscard d'Estaing lui emboîtèrent le pas en prônant une réforme du code de la nationalité directement inspirée par Jean-Marie Le Pen. C'est l'époque où le député (UDF) Alain Griotteray proclamait l'inassimilabilité des immigrés musulmans et où Le Figaro magazine se demandait: Serons-nous encore français dans trente ans? L'obligation de parler français et de suivre une formation civique, elle, est déjà obligatoire pour l'obtention d'une carte de résident. La mère de Zidane ou les ancêtres de...M.Sarkozy, parlaient-ils français à leur arrivée en France?
L'historien Max Gallo, longtemps de Gauche rallié à la Droite, pense que «ce concept se trouve au coeur de l'oeuvre de Michelet. Depuis, Ernest Renan, Marc Bloch et, bien sûr, Fernand Braudel en ont fait leur problématique centrale», souligne l'auteur de L'Âme de la France. Quelle est, à ses yeux, la singularité de ce pays? «Le droit du sol, par opposition au droit du sang. Le principe d'égalité, qui en découle. Celui de laïcité, aussi, pour que les individus puissent être égaux, quelles que soient leurs convictions religieuses», énumère l'historien. Pour lui, l'identité nationale française s'appuie aussi sur le rôle prééminent de l'Etat, tenu de réprimer les «tendances centripètes», ainsi que sur la langue, facteur d'unité, au même titre que l'école, qui «modèle» les futurs citoyens.
Autre élément constitutif, précisément, le rapport individuel de chaque homme à l'Etat. Et, pour finir, «même si l'évolution juridique n'a pas toujours suivi, même si elle n'a obtenu le droit de vote qu'en 1946», la place de choix réservée à la femme.
René Rémond établit un parallèle avec l'évolution de la langue: «À la commission du dictionnaire de l'Académie française, dont je suis membre, l'on introduit quantité de nouveaux mots empruntés à des langues étrangères. Ils enrichissent le français, mais n'affectent pas sa syntaxe, qui modèle la structure de l'esprit.»
De la même manière, poursuit René Rémond, l'influence de la religion sur l'identité nationale a évolué. Longtemps, on n'était français que si l'on était catholique. Puis une rupture est intervenue, à la Révolution.
Certaines valeurs du christianisme, comme la personne, la liberté, l'ouverture sur le monde, sont restées au coeur de l'identité nationale, mais sous une forme sécularisée. L'identité nationale se doit d'être ouverte, «elle se modifie sous l'apport bénéfique de populations venues d'ailleurs. Mais il faut tout de même s'interroger sur la façon dont elle va évoluer, à chaque flux migratoire», s'inquiète Max Gallo
À en croire Michel Wieviorka, il est en tout cas indispensable de revenir aux fondements juridiques de l'identité nationale
«Il existe des critères objectifs pour déterminer qui en relève et qui n'en relève pas. On est Français ou on ne l'est pas...La grandeur d'un pays consiste à reconnaître les différentes identités qui se manifestent sur son sol», veut croire Michel Wieviorka.(5) Ségolène Royal, François Bayrou et Nicolas Sarkozy parlent tous les trois de l'identité française, mais seul ce dernier la lie à l'immigration. Nicolas Sarkozy a fait de la nation, depuis l'année dernière, l'un de ses chevaux de bataille. «Le Pen n'est pas propriétaire de la nation, ni de l'identité nationale», a-t-il ainsi affirmé Un constat qu'opère également François Bayrou lorsqu'il écrit, que la France est «à l'épicentre d'un séisme qui vient de loin, au point de rencontre de deux forces antagonistes qu'il va falloir conjuguer. Une force qui vient de dehors: l'onde immense de la mondialisation. Une force qui vient du dedans de notre peuple et de notre histoire: le grand courant national qui a produit le modèle républicain.»
Evoquer Fernand Braudel et Marc Bloch, écrit J.P. Pierot comme le fait Max Gallo, pour tenter de défendre le dernier clin d'oeil de Sarkozy en direction de l'extrême droite relève, au mieux, d'un abus de langage...Les mots sont les mots et les faits sont têtus. La conception sarkozyenne de l'identité nationale n'est pas celle de Braudel et de Bloch. Elle est déjà à l'oeuvre dans la traque aux enfants de sans-papiers, dans les caricatures et les amalgames, martelés par le ministre de l'Intérieur candidat à longueur de discours, présentant les immigrés comme une menace dont il faudrait se prémunir. Avec ce projet de ministère, cette conception de l'étranger, danger pour la France de «deux mille ans de christianisme» deviendrait politique d'Etat. Ce qui, on est au regret de le constater, nous rapproche plus de l'idéologie de la «révolution nationale» pétainiste que des principes républicains de la Révolution française et donc de notre véritable identité nationale.(6).
Le lien entre immigration et identité nationale en débat
En entonnant la trompette de l'identité nationale, Nicolas Sarkozy amorce un tournant stratégique limpide: séduire les électeurs de l'extrême droite. Vichy n'est pas la seule réponse, car la crainte d'une dénaturation de la nation par l'immigration et la tentation de sélectionner les étrangers bons pour la France est à peu près aussi ancienne que le phénomène des migrations modernes. Pour l'histoire, dès 1880, les Belges, parmi les premiers migrants, étaient traités de vermines. Dans l'entre-deux-guerres, ritals et polaks ont longtemps été considérés comme inassimilables tandis que juifs et Arméniens étaient accusés d'abâtardir la race. Mais il faudra attendre 1945 pour qu'un organe de l'Etat républicain, le Haut Comité de la population, prône une sélection des étrangers basée sur leur assimilabilité.
Dans cette logique, les Européens du Nord sont les mieux notés, à l'opposé des Africains du Nord, relégués pour cause d'incompatibilité entre l'islam et la civilisation européenne. Cette mécanique, défendue par une partie de l'administration, n'a jamais été appliquée parce que, dans l'euphorie de la reconstruction puis des Trente Glorieuses, le patronat a opté pour la main-d'oeuvre bon marché, fût-elle considérée comme indésirable.(7)
Dans la VIe République de la Gauche ou de la Droite, la politique migratoire se ferait en fonction du prototype identitaire français. L'immigration serait refusée à celui qui ne connaît pas la langue française, qui a une tenue vestimentaire qui dépareillerait la France, qui a un nom à consonance particulièrement étrangère et étrange, non conformes à la France de Charles Martel.
Il ne devrait pas être noir, tout comme les Gaulois ne l'étaient pas. S'il veut être français, il faudra qu'il passe à travers les gouttes de pluie, qu'il gomme ses aspérités identitaires et cultuelles. C'est un sale temps pour les basanés coupables d'un délit: le faciès
1.Y.Gastaut, L'immigration et l'opinion en France sous la cinquième République, Seuil 1999
2..A.Memmi, Le racisme, Folio actuels, 1999
3.P.Tevenian. S. Bouamama. AgoraVox Le 19 octobre 2006
4.S.Bouamama, Dix ans de marche des beurs, Desclée de Brouwer, 1994
5..Marie-Françoise Masson et Denis Peiron Journal La Croix 14.03.2007
6.Jean-Paul Piérot: Sur le vif, l'identité sarkozyenne
7.Philippe Bernard, Nicolas Sarkozy et l'identité nationale: Le Monde du 19 mars 2007


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