Que ce soit le rachat de la chaîne de télévision ANN par le groupe Khalifa ou l'investissement que compte réaliser le milliardaire Djillali Mehri pour le lancement d'une télévision satellitaire, le paysage audiovisuel algérien risque de connaître des bouleversements sans précédent. Si l'on examine le poids audiovisuel de l'Algérie tant au niveau de la région euro-méditerranéenne que celui arabe, notre pays accuse un retard technologique et de communication quasi insurmontable. Face au conglomérat des chaînes de télévision arabes telles que MBC, Al Djazira, Dubaï TV ou ANN, dont l'audience est considérable intra-muros, et à la pérennisation des chaînes européennes (TF1, France 2 et 3, M6, TVE, TV5 ou encore CNN), qui s'identifient, selon la formule de Abdou B., à une pénétration de «chaînes nationales», l'Algérie n'oppose que la seule et unique Entv qui, malgré une volonté de mieux faire affichée par son DG, Hamraoui Habib Chawki, demeure sujette à des convoitises. La dernière en date est l'hémorragie rédactionnelle que subit l'«Unique» suite au prochain lancement d'une chaîne de télévision à fonds koweïtiens qui ambitionne de concurrencer Al Djazira, celle que les spécialistes qualifient de «CNN arabe». Pour saisir la nécessité de se doter de moyens équivalents aux autres chaînes arabes, voire européennes, il suffirait de cerner la stratégie d'une chaîne comme Al Djazira qui s'est imposée en moins de trois années comme la chaîne d'information la plus crédible du Moyen-Orient et du monde arabe. Son directeur, Mohamed Jassem Al Ali, expliquait récemment dans un entretien accordé à l'agence Europe que l'«expérience d'Al Djazira a permis d'élever un peu plus haut le niveau de la liberté des médias et a aussi permis aux médias arabes de s'ouvrir davantage. Cela a poussé des milieux arabes officiels à lancer des initiatives indépendantes dans ce domaine.» Cette approche est réelle dans la mesure où la majorité des pays arabes, dont l'Algérie, a pris conscience de l'impératif d'autoriser des chaînes nationales privées à émettre, ou à la prise de participation ou le rachat de télévision diffusant par satellite. Même si l'opération réalisée par Khalifa Groupe est à mettre au crédit de l'esprit d'entreprise d'une société privée, elle n'en demeure pas moins un atout pour l'ensemble de l'audiovisuel algérien. Car si cela obéit à une stratégie marketing et de communication qui a tendance à s'internationaliser (sponsoring de l'Olympique de Marseille par exemple), elle n'aura que des répercussions positives sur le paysage algérien de la télévision. Monter une télévision ou la racheter équivaut à un énorme investissement financier qui a, à maintes reprises, découragé la majorité des gouvernements algériens. Le plus paradoxal se situe dans le fait que l'Algérie a toujours voulu se doter d'une «arme médiatique» capable de riposter précisément aux attaques des télévisions... arabes dont l'hostilité de certaines n'a d'équivalent nulle part. Cela est d'autant plus troublant que l'ensemble des gouvernements arabes, dont le Qatar qui abrite le siège de la chaîne, a décidé d'intensifier l'investissement et l'homogénéisation de l'action médiatique contre... Israël qui vient de débloquer un budget de 200 millions de dollars afin de lancer une chaîne de télévision diffusant en arabe depuis Tel-Aviv qui devrait arroser en 2002 l'ensemble des pays arabes. Al Djazira, qui accorde un temps d'audience important aux officiels israéliens, d'où l'accusation vraisemblablement vraie qu'elle est en partie financée par les Israéliens, ne se conforme pas à cette politique arabe qui se veut unifiée. Face au déferlement d'images venant du Moyen-Orient et leur tendance au «scoopisme» comme ce fut le cas avec les déserteurs du DRS ou de l'armée, des auteurs à scandales comme Yous Nasrallah ou Habib Souaïdia ou encore le défilé interminable des commanditaires islamistes du terrorisme en Algérie tels que Dhina, Aroua, Heddam ou Boudjema Anas, l'Algérie demeure sans capacité de réagir. L'épisode de la diffusion par Al Manar TV, chaîne du Hezbollah au Liban, d'une information relative à un pseudo-attentat contre le Président Bouteflika, relayée par ces télévisions arabes, avait provoqué une onde de choc terrible à Alger sur le danger d'un désarmement médiatique face à la puissance de désinformation de ces chaînes. Si Khalifa a acquis ANN, cela ne pourra être considéré que comme un petit pas dans l'ouverture du champ audiovisuel algérien aux capitaux privés.