«Méconnues, aujourd'hui à notre époque, beaucoup de poétesses osaient, jadis, chanter l'amour, sans tabou...» Digne ambassadrice de la musique andalouse à l'intérieur et à l'extérieur de l'Algérie, Beihdja Rahal n'a de cesse d'oeuvrer pour la préservation de la musique classique algérienne en innovant à chaque fois. Comme une archéologue, elle s'entête à nous (re)faire découvrir les inédits du patrimoine andalou avec passion et talent. L'Expression: Vous venez de sortir un nouvel album Poésiades. Peut-on en savoir plus? Beihdja Rahal: Chaâriyat revêt ici trois sens: le premier en rapport avec la poésie, le second avec les poétesses et enfin avec el moucharabiya. C'est aussi cette relation que les femmes d'intérieur entretenaient avec l'extérieur via ces moucharabiya, ces fenêtres... Quelles sont les poétesses que l'on peut «lire» sur ce disque? Il y a Wallâda Bint Al Moustakfi que j'ai déjà chanté dans le deuxième volet de la nouba zidane. Il y a aussi Oum Al Alà Bint Yousef Al Hijariya et Oum Al Hanà Bint Abdel El Haq. Trois poétesses andalouses aussi connues à l'époque que certains poètes connus aujourd'hui. J'ai choisi des poétesses qui parlent d'amour, à l'image de Wallâda qui dit «Patience, mon ami, et je te rendrai visite au coeur de la nuit. Car son voile protégera mieux que tout, notre secret. Ce que je ressens pour toi empêcherait la lune de paraître. La nuit d'étendre ses voiles et les étoiles de voyager de nuit». On voit comment ces poétesses osaient parler d'amant, d'amour, chose tabou que l'on ne retrouve pas à notre époque. Il y avait donc une véritable liberté dans la poésie féminine. Beaucoup chantent ces textes mais ignorent qu'ils sont l'oeuvre de femmes. On dit souvent que la poésie andalouse est anonyme. Or, quand on fait des recherches, on retrouve la poésie de Ibn Zeydoun qui nous fait découvrir Wallâda pour la relation qu'ils entretenaient mais on ne connaît rien sur sa poésie à elle ou celles des autres. On cite toujours les poètes comme Ibn Khafadja, Ibn Lebana, Ibn Zoumrok, Ibn El Khatib, etc., mais on ne cite pas les femmes. Là, je remets en valeur la poésie féminine. Ce qui est différent par rapport au dernier album, c'est qu'ici, la poésie féminine est plus présente. Cet album, je l'ai enregistré en février 2007. Je voulais qu'il sorte en mars, mais je l'ai enregistré un peu en retard pour bien présenter la chose, c'est-à-dire donner la poésie en arabe avec la traduction à côté, avec une présentation de cette poésie andalouse en fin du livret qui accompagne ce CD. J'ai voulu tout de même qu'il marque la période du 8-Mars afin de célébrer cette poésie féminine, même s'il n'est sorti que peu après, en avril. Des concerts promotionnels? Non. Pas de concert. Je suis venue juste pour annoncer cet album lors d'une conférence de presse qui a eu pour thème «Poésie au féminin». J'étais accompagnée de Saâdane Ben Bab Baba Ali qui est professeur de littérature arabe à Paris III et spécialiste du mouachah andalou. Il m'a signé, d'ailleurs, la traduction de textes de plusieurs albums. Etant spécialiste en la matière, il parvient à traduire l'âme et le sens de cette poésie arabe. Nous avons aussi parlé de toutes ces poétesses... Ici, nous constatons que l'album Poésiades n'est pas accompagné du référent «nouba». Pourquoi? Dans la musique andalouse, il y a 15 modes. J'ai souvent parlé de 12 modes. C'est vrai qu'il y a 15 modes, 12 seulement forment des noubas. Avec 12 noubas, on peut parler de la série avec 5 mouvements qui constituent la nouba: mseder, btayhi, derdj, ensraf et khlass. S'il manque une partie des 5, on ne parle plus de nouba. On parle d'extrait dans tel ou tel mode. Il reste trois modes incomplets qu'on appelle orphelins, dans lesquels on retrouve seulement les insraf et les khlass autrement, les 4e et 5e mouvement. Les trois premiers sont perdus. Je voulais quand même interpréter ces modes oubliés, à savoir djerka, el arak et el moual et comme pour chacun de ces trois modes, il nous reste encore el istikhbar et les inklabate; à chaque fois, j'ai interprété la même structure pour ces trois modes, à savoir un inklab, un istikhbar, un ensraf et un khlass, de façon à reconstituer ces trois modes. Je pense ainsi avoir interprété les 15 modes existants dans la musique classique et surtout de l'école d'Alger. Pour revenir au titre, cela explique, pourquoi pas nouba, mais chaâriyates. Avez-vous été invitée au Festival de la musique andalouse qui se tiendra au mois de juin, et au Festival international de la musique andalouse qui se tiendra, lui, au mois de septembre? Je suis au courant, mais non, on ne m'a pas invitée. L'essentiel est que la musique andalouse soit bien représentée, même si je n'y serai pas. Je n'ai pas à boycotter. Si on fait appel à moi, je participe, bien sûr, quand les bonnes conditions sont réunies. Si on ne fait pas appel à moi, l'essentiel est que d'autres représentent cette musique. Ce qui importe pour moi, c'est que je parvienne à faire mon travail comme il se doit, et que j'arrive à le publier ou le diffuser par la suite. Le plus important est que ces festivals soient bien organisés, que le public soit présent et que cette musique, par le biais d'interprètes ou d'associations, soit bien représentée. Pour information, je suis l'une des invités d'honneur du Festival du malouf qui s'ouvre, demain, à Constantine. J'ai aussi un double album qui sort en France. Je vais le présenter, le 20 juin, à l'Institut du Monde arabe dans le cadre d'un Café littéraire. Entre-temps, j'animerai deux concerts dans le sud de la France, dont un en Gironde, dans les Hautes Pyrénées. Je serai présente au Festival des musiques sacrées à Fes (Maroc), les 6 et 7 juin. Le 8 juillet, je serai en Allemagne pour un concert. Sinon, pas de concert pour le moment à Alger. Peut-être après la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe», vu que toutes les salles sont prises. Mais je n'ai rien décidé encore. J'ai, en tout cas, un programme assez riche à l'étranger. Pour finir, je tiens à saluer l'Onda et son directeur général, Hakim Taoussar, qui nous aide, à chaque fois, à enregistrer un album dans le cadre de la préservation de notre patrimoine musical classique algérien, ainsi que Bouabdellah Zerrouki, l'ingénieur du son, et mon directeur artistique et toute l'équipe qui veille à l'accomplissement de sa tâche, sans oublier mon éditeur Soli qui continue à croire en mon travail avec fidélité pour un public connaisseur, présent à chaque fois.