Sidi-Saïd est l'interlocuteur privilégié des ministres et des opérateurs. Avec lui, il n'y a pas de surprise possible. Il y a plusieurs types de syndicats dans le monde. A la française, il y a la CGT, combative, amateur des grèves, des occupations d'usine et des manifestations de rue. Le syndicat allemand, participatif, et dont l'action est basée sur la négociation et la cogestion. C'est un syndicat champion des conventions collectives. Il y a un syndicat à l'américaine: puissant, combatif, et en même temps en mesure de gérer un pactole constitué par les fonds de pensions, sachant aller en Bourse comme les bons capitalistes. Et puis, il y a le syndicat à l'algérienne. Atypique. Issu des anciennes organisations de masse, satellites du parti unique. Un syndicat maison, enfant du système. A l'aise dans les rouages du système comme un poisson dans l'eau. Et puis un jour, tout au début des années 90, la Centrale syndicale a décidé de voler de ses propres ailes, au point de songer à créer un parti politique: n'oublions pas que le RND a été créé dans l'entourage de l'Ugta. Avant cela, l'Ugta tournait en orbite autour du Rassemblement national patriotique (RNP), concocté par feu Mohamed Boudiaf. «Chassez le naturel, il revient au galop». L'erreur de casting à la tête de l'Ugta a été, bien entendu, la désignation de Abdelmadjid Sidi-Saïd au poste de secrétaire général. Rien, en effet, ne le prédestinait à occuper une telle fonction. La disparition prématurée de Abdelhaq Benhamouda, dont il était l'adjoint, lui avait ouvert la voie, et lui s'était engouffré dans cette brèche et a montré, au fil du temps, une capacité de résistance et de combativité incroyable à se cramponner à ce poste. Car pour ce qui est de défendre les intérêts des travailleurs, le secrétaire général est plutôt mollasson. La voix de son maître. Ça se passe toujours comme ça: quelqu'un assure un intérim, en attendant mieux, mais il prend goût à sa nouvelle fonction, il crée tout autour de lui un aréopage et un groupe de soutien, et il devient indétrônable. L'autre force de l'Ugta réside dans son organisation à la fois verticale et horizontale, en fédérations (par branche) et en structures locales. Cela lui permet de coller aussi bien à la direction de l'entreprise qu'aux autorités locales, un pied dans la sphère économique et l'autre dans celle politique. Au fil du temps, Sidi-Saïd est entré dans le moule, au point qu'on ne peut plus imaginer l'Ugta sans lui. Avec sa voix tonitruante, ses formules imagées. Autre nouveauté, Sidi-Saïd est aussi bien ami avec les patrons privés qu'avec l'administration. Son cheval de bataille préféré reste la réunion tripartite qu'il tient plusieurs fois par an avec le gouvernement et le patronat. A ce titre, il est l'interlocuteur privilégié des ministres et des opérateurs. Avec lui, il n'y a pas de surprise possible. Sera-t-il sur la sellette lors de la prochaine CEN? On peut en douter, car malgré tous les griefs qui lui sont adressés, le pouvoir, tout autant que le patronat ne trouveront pas quelqu'un d'autre comme lui. La signature du pacte social restera dans les annales comme un exploit unique, d'autant plus que ce texte engage les travailleurs mais pas les entreprises et le gouvernement. Il n'y a qu'à voir la manière avec laquelle ont été traitées les augmentations des salaires. Chaque secteur a fait comme il l'entend. Les syndicats indépendants n'y peuvent absolument rien. Cela ne veut pas dire que Abdelmadjid Sidi-Saïd ne rencontrera pas de résistance ni de rivalité. Loin s'en faut. Les adversaires du secrétaire général au sein de l'Ugta sont nombreux, et certains sont vraiment puissants. Qu'ils soient membres du RND ou du FLN, chacun voudrait contrôler à son profit cette formidable organisation. Mais personne n'oserait créer des troubles, car l'équilibre actuel est dans l'intérêt de tous. C'est certainement cet équilibre qui profitera à Sidi-Saïd. Il est quelque part l'homme du consensus. Malgré ses manières brouillonnes, ses déclarations à l'emporte pièce, il a le don de calmer les esprits et de contrôler un mouvement qui ne souffre pas d'être mis en pilotage automatique.