La France finira-t-elle par reconnaître les crimes contre l'humanité commis en Algérie au même titre que l'esclavage en Afrique? Paris, jeudi 10 mai, la Journée de l'esclavage a été commémorée pour la première fois en France. C'est très timidement que la France commence par regarder son histoire tant il est vrai qu'il n'y a aucune gloire à en tirer. Une journée du souvenir - Madagascar, 8 mai 1945, massacres à Sétif, Guelma, Kherrata - Indochine... Autant de villes et de pays où la violence meurtrière de l'armée coloniale française s'est largement exprimée. Mais la mémoire est sélective. Qu'une nation élevée au rang de nation civilisée reconnaisse sa barbarie, n'est pas chose facile. Côte à côte, le président Jacques Chirac qui doit passer le témoin à son successeur et récent vainqueur de la présidentielle du 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy, assistent à l'évènement, une première, au coeur de la capitale parisienne, dans les jardins du Luxembourg en présence de nombreuses personnalités politiques et du monde sportif. Une sculpture en bronze a été inaugurée pour la circonstance. La France s'acquitte d'une dette morale envers ses territoires d'outremer et de l'Afrique. La traite négrière existait déjà bien avant la colonisation des pays africains et des territoires d'outremer. Signes avant-coureurs des conquêtes militaires françaises et de leurs exactions. L'abolition officielle de l'esclavage date de 1848. Dix-huit années après le début de la conquête en Algérie. L'asservissement et la soumission de son peuple par la force, par la torture, les enfumades et les liquidations physiques de sang-froid, à bout portant ou par pendaison. Il fallait trouver une échappatoire à cette barbarie. On fait voter à la hâte, par des nostalgiques de l'Algérie française, une loi glorifiant les bienfaits de la colonisation française en Algérie, en particulier. C'était un 23 février 2005. Cela a mis à mal le traité d'amitié en gestation. Puis des langues se sont déliées pour avouer la torture en Algérie. «Torturé» par Ben M'hidi, Aussaresses s'est mis à table. Les rôles se sont inversés. Les martyrs algériens, même d'outre-tombe font trembler leurs bourreaux. Ils auraient peur de la mort, eux qui l'ont semée pour inoculer la peur, l'angoisse et la terreur. C'est l'effet inverse qui s'est produit. Pas d'union des contraires. Chaque événement produit son contraire. La colonisation, l'indépendance. L'esclavage, la liberté. L'honneur de la dialectique est sauf. Comment se libérer lorsque la mémoire continue à être agressée, traumatisée. Comment qualifier les viols et la torture? Des actes de guerre? Une guerre met en présence des forces armées même si elles sont d'inégale valeur. Mais lorsqu'elle met face-à-face un peuple aux mains nues à une force militaire surarmée, qualifiée d'une des plus puissantes du monde, cela s'appelle un génocide. Avions, chars, bateaux de guerre, fantassins, tout a été mis en oeuvre pour asservir un peuple pacifique. Le nouveau président de la République française ne prononcera pas de repentance pour tous ces actes ignobles. Il veut réhabiliter la tristement redoutée organisation de l'armée secrète, OAS, et ses créateurs, ceux-là mêmes qui ont semé l'horreur. Pas de repentance, pas de traité d'amitié. Du côté algérien, on reste ferme. Si les crimes commis en Algérie ne sont pas des crimes contre l'humanité, que représentent-ils alors? Des trophées de guerre? «On vous a chassés de chez vous», c'est en ces termes que le président de la République française, fraîchement élu, s'est adressé aux rapatriés d'Algérie. Le monde à l'envers. Qui a chassé l'autre? Les Algériens ont été expropriés, délestés de leurs terres, ils ont été réduits au «khemassa». Une forme d'esclavage moderne qui se télescope à la colonisation. Une double condition. Et puis après, il y aura les enfants qui prendront la relève de leurs parents. Alors, esclavage ou pas esclavage? Non pire. Esclavage plus crimes contre l'humanité. La France n'échappera pas à son histoire, ni à son amnésie volontaire et à sa mémoire sélective. Elle a reconnu le massacre des Arméniens par les Turcs, les crimes contre l'humanité et contre les juifs et ceux commis envers les esclaves. Le négationnisme s'installe pour l'Algérie. Les blessures mal cicatrisées finissent par s'infecter. Les relations sereines souhaitées de part et d'autre de la Méditerranée ne seront qu'au prix de la reconnaissance des crimes commis contre les Algériens. «Si on venait à mourir, ne trahissez pas nos mémoires», c'est le voeu des martyrs de la guerre de Libération. Un serment qui ne sera pas trahi.