Dans son adresse à la jeunesse sénégalaise, le nouveau président français n'a pas tout dit sur le passé colonial de la France. A Dakar où il était jeudi, en visite officielle, le président français, Nicolas Sarkozy, a joué un difficile jeu d'équilibre, en reconnaissant, par ci, certains méfaits du colonialisme, responsabilisant, par là, les Africains quant à la situation précaire de leurs pays. Des demi-aveux, sans doute les bienvenus, mais qui laissent dubitatif quand on sait les crimes du colonialisme commis au nom de la France, en Algérie et au Sénégal, entre autres, les deux pays où il séjourna depuis son investiture à la présidence française, le 16 mais dernier. La langue de M.Sarkozy a-t-elle fourché? En effet, peu après avoir affirmé que la «colonisation» au même titre que «l'esclavagisme» était «génocide et crime contre l'humanité», il s'est, par la suite, rétracté, à en croire les rectificatifs des agences de presse, n'assimilant plus que la traite des négriers comme crime contre l'humanité. C'est ainsi que M.Sarkozy s'est étendu sur les crimes des négriers et des esclavagistes, mais a relativisé les crimes du colonialisme. Comme il est resté silencieux sur les crimes commis à Guelma, Sétif et Kherrata, en mai 1945, lors de son séjour à Alger le 11 juillet, Nicolas Sarkozy n'a dit mot non plus, sur l'autre crime, celui du camp de Thiaroye -pas loin de l'université de Dakar où il prononçait son discours - où des dizaines de tirailleurs sénégalais ont été tués par l'armée française en décembre 1945, coupables de réclamer leur solde. Les crimes coloniaux en Algérie et au Sénégal se passaient en 1945, année lors de laquelle les soldats venus d'Afrique (notamment de ces deux pays) avaient participé à la libération de la France. A Dakar et devant la jeunesse et les étudiants sénégalais, le président Sarkozy a déclaré: «Je ne suis pas venu effacer le passé car le passé ne s'efface pas. Je ne suis pas venu nier les fautes ni les crimes car il y a eu des fautes et il y a eu des crimes» au premier jour de sa visite au Sénégal, ancienne colonie française, devenue indépendante en 1960. Donc, pas question de repentance; M.Sarkozy qui demandait aux jeunes Sénégalais de regarder «au delà des crimes» de la traite et de l'esclavage, ne s'est pas appesanti sur les crimes propres de la France, ni ne s'est excusé pour les crimes du colonialisme français qu'il ne considère pas comme tel, estimant sans doute que des demi-aveux, d'une part, quelques petites vérités par là, d'autre part, car historiquement impossibles à nier, devaient contribuer à effacer ce qu'il y avait de plus barbare dans «l'oeuvre civilisatrice» de la France en Afrique. A la limite, selon le président français, la colonisation n'a pas été «un crime» au pire «une grande faute». Mais, le président Sarkozy qui veut «révolutionner» les rapports entre la France et les anciennes colonies africaines, n'a pas eu, néanmoins, le vrai courage de reconnaître les crimes de la France. Dans un entretien au quotidien gouvernemental sénégalais, Le Soleil, le président français indique: «Il y a eu la traite négrière, il y a eu l'esclavage, les hommes, les femmes, les enfants achetés et vendus comme une marchandise. Et ce crime ne fut pas seulement un crime contre les Africains, ce fut un crime contre l'homme, un crime contre l'humanité». Comme le furent, au même titre, les enfumades du Dahra et les crimes des colons en mai 1945 en Algérie. M.Sarkozy est très sélectif, il reconnaît dans l'esclavagisme un crime contre l'humanité parce qu'il n'est pas du fait des seuls Français, mais des pays occidentaux en général, mais refuse en revanche, d'assimiler la colonisation et les méfaits du colonialisme à des crimes de guerre et contre l'humanité. A Dakar, Nicolas Sarkozy, s'il a dit quelques vérités sur le passé colonial de la France, qu'il continue à ne pas vouloir assumer, est loin cependant d'avoir fait son mea-culpa. Il en faut de beaucoup. Au même journal cité plus haut, le président français affirme: «J'ai le souci de moderniser les relations qu'entretient la France avec ses partenaires africains (...) et d'en chasser les vieux démons du clientélisme, du paternalisme et de l'assistanat». Or, dans son discours prononcé jeudi à l'université Cheikh Anta-Diop de Dakar, Nicolas Sarkozy, plus que paternaliste, s'est surtout montré arrogant envers les jeunes Dakarois, les apostrophant; «Voulez-vous que cesse l'arbitraire, la corruption, la violence? Voulez-vous que la propriété soit respectée, que l'argent soit investi au lieu d'être détourné?» Peu à Dakar ont, d'ailleurs, apprécié ce discours qui rappelle des jours sombres que les Africains ne peuvent pas oublier. En fait, Nicolas Sarkozy voulant couper avec les pratiques de ses prédécesseurs, se veut subtil et plus ouvert alors qu'il fait un discours qui reste le même, mais certes, enrobé de modernité pouvant faire croire qu'il dit autre chose que ce qu'ont dit avant lui MM.Chirac, Mitterrand ou encore Giscard d'Estaing qui, tous regardaient l'Afrique comme la «chasse gardée» de la France. Or, quoi qu'on dise le président français, cet archaïsme qu'est «le pré carré» français en Afrique subsiste et Nicolas Sarkozy est venu au Sénégal et au Gabon -avec lesquels la France entretient des relations privilégiées- pour lui donner un habillage plus clean alors que l'objectif demeure le même avec en sus, aujourd'hui -en plus de l'exploitation à outrance des matières premières africaines- l'écrémage de sa matière grise, ces cerveaux qui font aujourd'hui le bonheur des puissances occidentales, grandes et petites.