Même le journal, La Vanguardia, remarquant avec quel détachement les citoyens observaient les élections, a réduit l'espace qui était consacré à celles-ci. Carla Filbla est journaliste professionnelle et correspondante au Maroc pour le compte de La Vanguardia. Rosa Meneses est rédactrice politique dans El Mundo. Elles sont espagnoles, s'intéressent à l'Algérie, au terrorisme et au changement dans les pays limitrophes à l'Espagne. Elles ont bourlingué en Algérie en long et en large, discuté avec officiels, journalistes, marginaux, chefs de parti et des leaders islamistes. Habituées au dossier «Algérie», pays qu'elles connaissent bien, c'est tout naturellement qu'elles ont été ciblées pour donner une vision décalée des élections législatives et une version différente que celle que véhiculent clichés internes et caricatures de profanes. Rosa Meneses dit tout d'abord avoir constaté que les Algériens rejettent le terrorisme et que l'Algérie de 2007 n'est pas celle d'avant dix ans. «Les citoyens veulent oublier le passé, ne plus avoir à affronter des images des années tristes. Cependant, ils ne veulent pas tout oublier, mais juste tourner la page, et la garder en mémoire si possible...J'ai retrouvé des Algériens qui veulent parler, qui ont énormément de choses à dire sur ce qui s'est passé, mais c'est peut-être trop tôt pour le faire, les blessures sont encore ouvertes, mais il faut faire le détour pour ce travail de mémoire...» Carla intervient pour préciser: «Oui, oui, j'ai fait un saut à la librairie du Tiers-Monde à Alger, et si je suis restée sidérée par le nombre important d'ouvrages traitant de la guerre d'indépendance, j'ai été aussi étonnée de ne trouver aucun livre sur le terrorisme et la période de ces dix-sept dernières années...C'est très indicatif sur un état d'esprit qui règne actuellement ici.» Rosa reprend son sujet: «Il faut trouver ce qui s'est passé. C'est comme en Espagne avec la guerre civile. Il faut un procès historique pour cela...J'ai insisté sur ce point parce que je pense que les gens sont restés traumatisés à ce jour...Je vois aujourd'hui que les citoyens sont fatigués, ne trouvent aucun intérêt à aller voter, car ils estiment qu'il n'y aura de toute façon aucun changement qui en découlerait.» Pour Carla, les élections de 2007 auront surtout brillé par le manque de motivation qui les a caractérisées. «Je suis revenue cette fois-ci en Algérie, après les élections de 2002, mais j'ai constaté qu'il y a un manque d'action, très peu de motivation aussi bien chez les journalistes que chez les partis politiques, et aussi chez les citoyens de façon plus générale. Je ne sais pas à quoi est dû cela, mais c'est un point qui m'a surpris cette fois-ci et que je relève ici. Même mon journal, La Vanguardia, remarquant avec quel détachement les citoyens observaient les élections, a réduit l'espace qui était consacré à celles-ci. Les gens me disaient avant les élections que celles-ci n'allaient en tous les cas rien faire bouger et qu'il était de ce fait inutile d'aller voter. Ces propos m'ont été répétés partout où je suis passée...» Le fort taux d'abstention est débattu avec hargne. Pour Rosa Meneses, il s'agit d'une «protestation». «Je pense qu'il s'agit là d'une forme de protestation. Que le gouvernement doit savoir lire ces messages du peuple. Il y a quelque chose qui a changé, mais en pire. Les gens ne sont plus assez combatifs, les Algériens ne se battent plus, le discours combatif a disparu, dans la presse aussi, les temps sont aux écrits élogieux et soft, on ne lit plus d'articles agressifs...» Carla va plus loin: «En 2002, j'étais là, et quand Zerhouni avait fini sa conférence de presse, les journalistes étaient querelleurs, aussi bien dans leurs questions et dans leurs écrits. Cette fois-ci, ils ont focalisé leurs questions sur des points personnels concernant leur propre prise en charge et leurs conditions de travail, et c'est tout. Quelques petites questions sans gravité sur des détails des élections, et la conférence de presse était close. C'est pas sérieux...» Quelles sont donc les conséquences d'une telle situation? Rosa affirme que «l'Algérie de 2007 fait peur. Parce qu'on parle de milliards sans que les conditions de vie des citoyens ne changent en mieux. Le niveau de vie reste encore trop bas, les gens semblent désespérés, même leur sourire semble triste. Je tiens à vous dire cela. J'ai visité des quartiers dans la capitale et les gens étaient démunis à un point comme on dit chez nous ´´ou il n'y a même pas la main de Dieu´´, c'est-à-dire que le minimum de la vie ne leur est pas garanti. C'est peut-être de ce côté qu'il faut chercher les causes de ce fort taux d'abstention». Carla clôt cet entretien à trois avec cette formule: «J'étais là en 2002, je suis encore là en 2007, et je vous assure que les citoyens sont plus désespérés qu'auparavant par leur niveau de vie qui ne s'améliore pas. Au niveau de la presse, aussi, je constate une régression dangereuse. On trouve plus de pages pub, mais aucun article intéressant qui mérite qu'on s'y attarde. En termes clairs, et concernant ces élections, je n'arrive pas à lire un écrit sérieux et fouillé, une analyse digne d'être exploitée...»