Ces deux pays seraient les principaux bénéficiaires d'une déstabilisation du Liban, selon que l'on soit avec ou contre la présence syrienne dans ce pays. Au lendemain de l'assassinat de Rafik Hariri, la presse internationale désigne deux coupables. La Syrie et Israël sont en effet montrés du doigt, à la faveur de l'incontournable interrogation : à qui profite le crime? Ainsi pour l'essentiel des journaux occidentaux, le pays de Bachar El-Assad est le premier bénéficiaire de la mort de celui qui a tenu tête à l'ambition syrienne de garder, coûte que coûte, un contrôle militaire sur son petit voisin. Ainsi avec des titres en Une, annonciateurs de périodes troubles pour le Liban, du genre, «Attentat à la paix», «Liban : le retour du chaos», la presse française n'est pas allé par quatre chemins. Le quotidien Libération répond à la question : à qui profite le crime, en désignant, sans l'ombre d'un doute, la Syrie. Pour Libération, «Hariri savait les risques» de sa «politique de défi à la Syrie. Il est certain que ses assassins sont des professionnels qui avaient pour but de déstabiliser le Liban et d'y empêcher toute remise en cause du statu quo, c'est-à-dire de l'occupation syrienne». «Ce pays reste une bombe à retardement dont l'explosion peut secouer tout le Moyen-Orient», écrit Libération. Le Parisien explore une autre piste en mettant le président français comme l'une des personnalités à destinataire du message de l'assassinat de Hariri. Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l'Orient, emboîte le pas au quotidien en se disant persuadé que cet attentat est «un message adressé à Jacques Chirac». C'est également, poursuit l'orientaliste français, «une réponse à la résolution 1559 de l'ONU votée à l'initiative de la France.» Laquelle préconise un retrait des militaires syriens du Liban. Evoquant l'attentat du Drakkar, à Beyrouth, qui tua 58 parachutistes français en 1983, il rappelle que Hafez El-Assad, le père de l'actuel président syrien, «avait déjà menacé la France en disant qu'elle n'avait rien à faire au Liban».Cette thèse est d'ailleurs privilégiée par les journaux français eu égard à la solide amitié qui liait Chirac à Hariri. Le Figaro, quotidien de droite, craint de «graves soubresauts. Inévitablement, le spectre d'un retour à la guerre civile revient hanter les esprits». «Quels que soient ses commanditaires, l'attentat a manifestement été soigneusement préparé. Quel que soit l'objectif ultime recherché, la crise que connaît le pays depuis septembre risque fort de dégénérer. (...) Compte tenu des soupçons qui pèsent sur la Syrie, on comprend que la France ait proposé qu'une enquête internationale fasse la lumière sur l'attentat». Le journal La Croix abonde dans le même sens en affirmant que «beaucoup d'éléments plaident pour une piste syrienne ou, disons, syro-libanaise». Cela dit, la thèse du règlement de comptes non-politique est néanmoins effleurée. La presse espagnole semble, elle aussi, ne pas avoir de doute sur les commanditaires de cet attentat. Les services secrets syriens sont montrés du doigt par le quotidien El Pais, pour qui «tous les soupçons se portent sur le régime de Damas auquel Hariri s'était heurté au cours des derniers mois en réclamant la sortie des troupes syriennes du Liban». «Aujourd'hui est un jour triste pour le Liban, pour le Proche-Orient, pour tous ceux qui souhaitent et travaillent pour la paix», écrit M.Moratinos. Le même son de cloche est développé par ABC, El Mundo La Vanguardia. Ce dernier préfère adjoindre à la piste syrienne, une implication islamiste. «Les motifs sont externes - la relation d'Hariri avec la couronne saoudienne - mais frappent de plein fouet le Liban aux entrailles», estime le journal. Donnant le ton à la réaction d'une bonne partie de la presse britannique, le Times, estime que cet assassinat est «une attaque préventive contre les efforts (des) Libanais de regagner le contrôle de leur destinée en assurant la fin de la longue et suffocante occupation militaire syrienne». Pour le Guardian, si l'identité des tueurs est inconnue, M.Hariri «était critique à propos du rôle controversé de la Syrie au Liban». Selon The Guardian et le Daily Telegraph «le coupable le plus évident, serait la Syrie», soulignant que la mort de Rafik Hariri laisse «un dangereux vide». Du côté de la presse du Golfe, les réactions sont plus nuancées. Alors que le quotidien El-Watan écrit que «si ces explosions visent toujours ceux qui s'opposent à la présence syrienne au Liban, cela signifie que la Syrie est (peut-être) impliquée dans ces explosions», son confrère Al-Siyassah moins catégorique, affirme qu' «après l'assassinat de Hariri, le monde entier, préoccupé par la guerre contre le terrorisme, n'acceptera pas ces procédés, quelle qu'en soit la source». En Arabie Saoudite, le quotidien Al-Watan estime que «ceux qui rejettent l'accusation sur la Syrie feignent d'ignorer les relations excellentes entre le Liban et la Syrie (...), comme ils feignent d'ignorer les circonstances politiques internationales qui entourent la Syrie, ainsi que les menaces auxquelles elle est exposée de la part des Etats-Unis et d'Israël». Un autre quotidien saoudien, Al-Riyadh, souligne que ce «crime abominable (...) brouille de nouveau les cartes au moment où le Liban et la Syrie font face à des pressions». Dans les Emirats arabes unis, le quotidien Al-Khaleej verse également dans ce sens. Sous le titre, «Séisme à Beyrouth», le quotidien écrit que «ce crime ne profite qu'à l'ennemi israélien». Le New York Times, seul quotidien de la presse américaine à y consacrer un éditorial, écrit que «l'assassinat de M.Hariri pourrait temporairement effrayer les critiques de Damas au Liban, mais que son effet à long terme devrait provoquer un effort renouvelé pour que la Syrie quitte le Liban». Du côté du monde politique, l'ensemble des capitales du monde ont réagi à cet attentat en le condamnant fermement. La Syrie, pays ciblé par les Etats-Unis, n'a pas manqué de communiquer sa désapprobation de cet acte. En France, une minute de silence a été observée au Sénat à la mémoire du défunt.