Prenant exemple sur la fable de La Fontaine, ils sont nombreux, ces petits adultes, filles et garçons, à travailler l'été pour assurer l'hiver. En période des vacances scolaires, notamment en été, les rues de la Coquette sont squattées, quotidiennement, par des enfants en âge d'aller à l'école. Chewing-gum, chocolat, mouchoirs en papier et grains de tournesol ou autres produits sont proposés aux passants en mal d'activité. Issus de familles pauvres, ces enfants prennent goût aux activités saisonnières. Ces activités commerciales d'adultes, exigent de la maturité et un sens précoce de la responsabilité au point où ces enfants se font un point d'honneur à subvenir, un tant soit peu, à leurs futurs besoins scolaires. Il arrive que des novices se lancent dans le commerce de produits tentants, tels que les cacahuètes, et se rendent compte, au bout de quelques jours, que la tentation leur a fait perdre le capital, par le grignotage, et qu'en fin de compte, ce métier exige à la fois de la sobriété et de la patience. Cependant certains autres font montre d'une maturité précoce. Leur souci: récupérer le capital investissement. Pour ce faire, ils se lancent dans le commerce de paillassons ou de vaisselle que les ménagères sont contentes d'acquérir à bon marché, au bord des trottoirs de la rue Gambetta ou à proximité du marché d'El Hattab. D'autres préfèrent se déplacer de quartier en quartier vendant des fruits et légumes de saison sur charrette, flanqué d'une balance qu'ils louent à la semaine à raison de 1000DA. Ils sont des centaines à vivre cette situation. Pour Lahmadi, 17 ans, candidat au Bac, «La panade qu'il vit n'est pas une tare.» L'encombrant, selon Lahmadi, «c'est de ne pas y faire face». Pour lui, ce genre de commerce ou autres activités, est une panacée permettant d'amasser un pécule à même de permettre de faire face aux dépenses scolaires, surtout pour payer ses cours de soutien. La motivation de Lahmadi n'est autre que le revenu modeste de son paternel qui a, quelquefois, du mal à joindre les deux bouts. Autre lieu, autres exemples. Lamine, 16 ans, au sourire permanent, très connu sur la place, est porteur au marché couvert du centre-ville d'Annaba. Il est la mascotte de la clientèle huppée de ce marché. D'ailleurs, Lamine ne communique que par mobile. Il a quitté les bancs de l'école très jeune, mais il a vite compris que courir les rues sans rien faire est un suicide. Aussi, a-t-il entrepris de reprendre les cours à distance. Il est en 2e année moyenne. Il a eu avec brio son BEF, il y a deux ans. «Cela fait quatre années que je n'ai pas vu la mer», dira Lamine, en rétorquant: «Je ne le regrette pas pour autant.» L'ambition du jeune Lamine va au-delà de l'argent qu'il gagne. Influencé par le trafic commercial du marché, Lamine veut décrocher le Bac pour se lancer dans la gestion financière et côtoyer le monde de la Bourse, et céder sa place de mascotte à un autre, qui sera, comme il le dit si bien, sa mascotte à lui. Lamine et Lahmadi ne sont pas les seuls à ne pas connaître l'air des vacances. Ils sont nombreux, ces petits adultes, filles et garçons à travailler l'été pour assurer l'hiver. C'est, en quelque sorte, l'histoire de la cigale et de la fourmi. Certains jugent le travail des enfants comme une atteinte à la dignité. Pourtant, des adultes aussi recourent au travail saisonnier, histoire d'arrondir les fins de mois et prévenir les dépenses de la rentrée scolaire, du Ramadhan ou de l'Aïd. Certains jeunes, qui s'adonnent précocement aux petits commerces dans la rue, ne sont pas forcément dans le besoin. C'est devenu une vocation.