On craint l'assimilation du parachèvement de l'oeuvre à un aboutissement d'une politique. Les dernières allusions à la réconciliation nationale remontent à la campagne électorale. Au tout dernier jour, le secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem, voulait «une application complète et sans entraves de quelque partie que ce soit de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale», rappelant devant un parterre de militants surchauffés et des éléments de l'AIS assis au premier rang, que, «depuis le début de la crise qu'a vécue l'Algérie, le FLN n'a eu de cesse d'appeler à un règlement qui passe par la réconciliation, le dialogue et la fraternité». De Chlef où il tenait son dernier meeting, le secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, estimait que «sans la réconciliation nationale initiée par le président de la République et adoptée par le peuple, l'Algérie n'aurait pas retrouvé la paix et la stabilité dont elle jouit aujourd'hui». Mieux, il appuie avec force: «Notre soutien découle de notre conviction que tout projet de société et tout programme est voué à l'échec dans un climat d'insécurité, de violence et d'instabilité». La porte-parole du PT a pris le relais du président du MSP qui semblait oublier le thème dont la dénomination du parti porte le label. Qu'en est-il aujourd'hui du projet? La question mérite d'être posée. Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (Cncppdh), estime que l'objectif principal a été atteint. «La paix a été retrouvée, surtout dans les coeurs des Algériens». Il reconnaît, toutefois, que «les entraves bureaucratiques» existent Selon ce dernier, le taux d'application de la Charte se situerait aux environs des 80%, alors que les concernés le situent à moins de 20%. Il faudra attendre le bilan de la commission nationale présidée par le chef du gouvernement pour en avoir le coeur net. En restituant le projet dans sa véritable dimension, on s'aperçoit que le paysage est accidenté. Bouteflika s'est investi physiquement dans la campagne de sensibilisation en allant vers le peuple. Et le peuple a voté massivement pour la paix et la réconciliation, le 29 septembre 2005. Le président tombe malade. L'activité politique nationale est figée. L'immobilisme durera le temps que prendra la convalescence du président. Petit à petit, il revient aux affaires. Les textes d'ordonnances portant application de la Charte pour la paix et la réconciliation ne verront le jour que dix mois après le référendum, c'est-à-dire à l'automne 2006. On prend le temps de faire des élections législatives, de reporter les locales, de penser au prochain référendum sur la Constitution, mais le projet de réconciliation bute sur des entraves bureaucratiques.. Sur le terrain, l'application des textes se poursuit au compte-gouttes. L'administration locale ne se presse pas. Le traitement des dossiers en suspens prend un temps fou. Mais personne ne s'en soucie. La paix fait partie des trois axes cardinaux de la politique de Bouteflika. Les réticences étrangères sur sa réussite sont évidentes. Mais lorsque les Américains prennent à leur compte le slogan de «réconciliation nationale» en Irak, n'est-ce pas là une reconnaissance de fait à cette politique tant décriée au début? Au niveau interne, la poursuite du processus nécessite une volonté politique d'envergure. Les discours d'intention ne suffisent plus. On n'a qu'à relire les divergences de taille entre les discours du FLN et du RND ceux, pendant la dernière campagne électorale, pour saisir l'étendue de l'écart qui sépare les tendances lourdes qui alimentent le débat. Après des élections bâclées, des hésitations au point de remercier un gouvernement pour ensuite le reconduire, renseignent sur l'état des lieux, tant les «équilibres» pèsent de tout leur poids sur les grandes décisions, comme dirait Louisa Hanoune. Mais il se trouve que le parachèvement de l'oeuvre de réconciliation nationale soit interprété comme l'aboutissement d'une politique. En conséquence, il est trop tôt d'y mettre les scellés. L'amendement de la Constitution est le prélude d'une plus vaste dimension d'une politique dont la réconciliation constitue le socle.