Du 11 au 15 juin, Béjaïa a, encore une fois, vécu son événement «cannois» mais sans paillettes ni artifices... Dans une ville délaissée par les autorités, selon les termes d'un citoyen, et où une Casbah est jonchée de détritus selon notre propre constat, les organisateurs des rencontres cinématographiques tentent année après année, de redresser la barre du civisme en cultivant le goût du beau et du 7e art à Béjaïa. Une façon hautement symbolique qui pourrait, à la longue, ouvrir l'oeil à la culture et permettre ainsi de s'affranchir enfin des pesanteurs et de la médiocrité ambiante qui nuisent au développement socioculturel d'un pays. En effet, du 10 au 15 juin, grâce à l'Association Project'heurs, le cinéma était au coeur de la ville de Béjaïa, où cette manifestation se déroule chaque année mais cette fois, sans l'autre coorganisateur qui est l'Association Kaina Cinéma. Au- delà de cette séparation qui est à mettre sur le compte des relations internes, il faut souligner cette constante volonté des Béjaouis à relever le défi, malgré le budget qui se voit revu à la baisse et les aléas corollaires...Les idées, elles, foisonnent au sein de cette structure qui se veut d'échanges et de formation avant tout. Ils sont aussi, trois ateliers, cette année, à constituer le bras d'appui à ces rencontres, outre les projections traditionnelles qui se déroulent à la cinémathèque de Béjaïa. Au TRB, de nouveaux visages jeunes sont apparus cette année. Le café -ciné a élu domicile à la Casbah cédant la place à cet antique site pour les palabres des plus professionnels au relent de tourisme au sens positif du terme...L'histoire du cinéma dans les pays du Maghreb est le thème d'un atelier animé par le Tunisien Tahar Chikhaoui, de la faculté des lettres de Manouba (tunis). «J'ai vu une grande diversité chez les stragiaires, des sensibilités différentes. J'ai découvert un grand désir que je ne soupçonnais pas et une fraîcheur dans la réception et une grande sensibilité du regard. Je pensais rencontrer des jeunes déprimés comme en Tunisie. J'ai rencontré tout à fait le contraire. Une fraîcheur mais pas dans le sens candide mais plutôt dans l'esprit d'ouverture» nous a confié l'encadreur tunisien. «dorénavant je regarderai les films différemment» nous a révélé un jeune stagiaire, bien enthousiaste...Parmi les films étudiés, on citera Tanja de Hassen Lagzouli, Bled Numer One de Ameur Zaïmeche et Hourma de Jillani Saâdi. Cyrille et Mino de l'Association La Ménagerie de Toulouse, ont, quant à eux, su admirablement encadrer l'atelier d'initiation au film d'animation, à l'issue duquel deux court-métrages ont été présentés à la soirée de clôture. L'un réalisé par des enfants, à base de pâte à modeler et l'autre fait par une quinzaine de jeunes aidés bien évidemment par leurs encadreurs qui n'ont pas cessé de travailler même très tard dans la journée. Leur présence à Béjaïa fait suite à une formation dont a bénéficié une douzaine d'enfants et dispensée au mois de mars dernier par deux animatrices de La Ménagerie. Le public béjaoui a pu apprécier, cette année, des films dont la particularité réside dans leur nouveauté. Algérie, Tours/ détours... réalisé par Oriane Brun-Moschetti et Leila Morouche s'est transformé en hommage à ce cinéaste de guerre, René Vautier. Ce film ouvrira avec émotion ce 5e rendez-vous cinématographique. Témoin de la guerre, de la naissance et de l'âge d'or du cinéma dans ce pays, il a permis de replonger dans l'histoire pour mieux comprendre la situation actuelle du pays sur le plan du cinéma. Son regard s'est conjugué à ceux de différents professionnels du cinéma, d'hier et d'aujourd'hui, et de divers spectateurs.. En présence des réalisateurs, des films comme 10 Millions de centimes de Bachir Derais, Morituri de Okacha Touita, ça tourne à Alger de Salim Aggar, ou encore Premier Plan, Un cinéma à tout cri de Sihem Merad et Elodie Wattiaux. Des films qui ont suscité admiration et questionnement au sein du public. En plus d'être réalisatrices, nos deux jeunes femmes ont, de par leur fraîcheur et connaissances cinématographiques, apporté perspicacité et savoir au sein de l'atelier Initiation aux techniques cinématographiques qu'elle ont eu à encadrer avec beaucoup de professionnalisme. Le cinéma de nos voisins tunisiens et marocain était également présent via un paquet de courts métrages des plus intéressants. Une curiosité qui démontre bien l'intérêt qu'accordent les Algériens au 7e Art, pour peu qu'on leur ouvre les salles et on mette à leur disposition des films qu'ils puissent regarder tout au long de l'année et surtout dans de bonnes conditions..Car force est de constater que des problèmes techniques continuent à surgir, année après année. Il y a lieu aussi de penser, sérieusement, à la restauration de cette salle de cinéma dont beaucoup de gens se plaignent.. Toutefois, Si le cinéma ne va pas vers eux, Bachir Derais, lui, en tout cas, a eu l'ingénieuse idée de monter le projet d'une tournée de ces films dans tout le pays...Pourvu qu'on ne lui mette pas, encore une fois, les bâtons dans les roues.. Tariq Teguia la révélation La soirée de vendredi dernier, qui n'a pas vu, hélas, la diffusion du journal - nouvel atelier inscrit à l'agenda des rencontres et encadré par la jeune journalise et cinéaste qui promet, Yasmine Chouikh-, fut marqué par une belle embellie qui a donné enfin le ton à cette nouvelle édition des rencontres...la révélation du cinéma algérien qu'il faudra désormais compter avec...Et de quelle manière! «Voilà quelqu'un qui a tout compris au cinéma!» lâchera un jeune réalisateur, Karim.M. qui est dingue de ce film...Une même idée partagée par cet autre jeune réalisateur, Hassen.F. de l'Association Chrysalide. Un long métrage qui a accaparé l'attention du public, malgré les applaudissements mitigés qui en ont résultés...Roma wa la N'touma est un film qui ne laisse personne indifférent. Quelles belles images, en effet, et quelle assurance au niveau du cadrage. Voila quelqu'un qui a bien su rentabiliser sa maîtrise de la photo, on est tenté de dire! Et le film, n'est que ça, un subtil assemblage de larges plans de séquences, de lumières fantastiques et de silence qui balaient de larges paysages désertiques..«Nous vivons une guerre lente» dira presque, sans voix l'acteur principal, qui traîne avec sa copine dans cette Algérie meurtrie des années 1990. le film utilise le parler dialectal qui nous met de plain-pied dans notre réalité socioculturelle. Un ennui sidéral ronge cette ville comme passée sous le crible d'une bombe atomique...Et pourtant, le poids de ce monstre tapi dans l'ombre, est bien présent. Sélectionné lors du dernier festival de Venise dans la sélection Horizon, le premier film de Tariq Teguia est absolument bouleversant, Une histoire d'errance abordée sous une forme hautement esthétique! Depuis plus de dix années, l'Algérie vit une guerre lente, une guerre sans ligne de front mais ayant causé plus de 100.000 morts. C'est ce désert que Zina et Kamel -deux jeunes Algérois tantôt hallucinés et joyeux, tantôt abattus et sereins- voudront sillonner, une dernière fois, avant de la quitter pour l'ailleurs. Aussi, Alger la nuit sous couvre-feu se réveille de sa torpeur lentement ou égrène son temps qui ne veut pas passer forcément...Pour la petite anecdote, les deux jeunes gens, des acteurs non professionnels, ont parvenu à être en Italie pour de vrai! Honneur aux jeunes réalisateurs Parallèlement à ces rencontres, la soirée de clôture a vu la tenue à la maison de la culture de Béjaia d'une cérémonie en hommage aux jeunes réalisateurs présents à Béjaïa. En effet, Madame Hamida Aït El Hadj a tenu à offrir des cadeaux à deux jeunes artistes prometteurs, à savoir Belkacem Kaouan qui a déjà joué dans le Fleuve Détourné, adaptation théâtrale de Madame Aït El Hadj qui lui a valu le premier prix au Festival professionnel du théâtre arabe qui s'est tenu le mois dernier au TNA, ainsi qu'à Mohamed Yargui, Olivier d'or de la meilleure fiction au dernier Festival du film amazigh. Mamo a aussi présenté à l'occasion de ces Rencontres, son nouveau court métrage, Houria. D'autres invités ont également été honorés à savoir Bachir Derrais et Okacha Touita notamment. «je viens de recevoir un grand prix mais je préfère honorer les jeunes. Vous savez, je suis quelqu'un de pédagogue. J'aime aider les jeunes. Auss, je fais tout ce qu'il faut pour ramener du public dans cette salle longtemps désertée..»