Quinze ans après, les circonstances émaillant son meurtre demeurent encore floues. Il est rentré dans l'Histoire par deux fois: la première en étant l'un des concepteurs de la guerre de Libération nationale, la seconde quand il a été rappelé, pour sauver la République, un 12 janvier 1992, avant de mourir assassiné, le 29 juin 1992. Tel est le sort réservé à Mohamed Boudiaf. Il a pris les rênes du pouvoir le 14 janvier 1992, alors que la République prenait le tournant le plus décisif de son existence. Son sort sera scellé six mois plus tard, à Annaba. Il fut lâchement assassiné, et en direct à la télévision, par un officier du Groupement d'intervention spéciale (GIS), Boumarafi Lembarek. Quinze ans après cette terrible journée, les interrogations entourant les circonstances de son assassinat demeurent encore floues. Cela en dépit de l'arrestation de l'auteur du crime, jugé et condamné, qui croupit aujourd'hui, à la prison militaire de Blida. L'une des questions qui taraudent encore les esprits, est qu'est-ce qui a poussé le jeune Lembarek, âgé alors de 25 ans, à commettre son crime? Pourtant, le portrait que le père dresse du fils, n'est que celui d'un garçon sans problème, ne souffrant d'aucun déséquilibre mental. Dans un entretien accordé au journal arabophone Echourouk, Ahmed Boumarafi, le père de Lembarek, semble plaider l'innocence de son fils. D'autant plus qu'il est le seul à subvenir aux besoins d'une famille, aujourd'hui vouée au dénuement et à l'extrême misère. Le vieux Boumarafi est plus que jamais convaincu que ceux qui ont assassiné Boudiaf «disposent de dossiers noirs, sur lesquels Boudiaf avait promis de lever le voile. Ils ont senti venir le danger, et c'est pour cette raison qu'ils l'ont assassiné», tranche-t-il dans l'entretien accordé à Echourouk. Les proches de Mohamed Boudiaf, eux, attendent que toute la lumière soit faite sur cet assassinat qui a fait couler beaucoup d'encre. «Et l'enquête qui devait nous révéler la vérité, toute la vérité, plus personne n'y songe!» s'exclame le beau-frère de Boudiaf, Amine Abderrahmane. Dans un communiqué adressé à la rédaction de L'Expression, M.Abderrahmane ne manque pas de s'interroger: «Dans quel fond de tiroir poussiéreux est enfoui le dossier Boudiaf? Pourquoi le crime reste-il impuni? Pourquoi ne voit-on rien venir? Et les fameuses promesses faites (et jamais tenues) par tous nos hauts dirigeants qui se sont succédé aux plus hautes fonctions de l'Etat depuis 15 ans?» Bien des zones d'ombre émaillant l'assassinat de Mohamed Boudiaf restent à découvrir et à mettre sous les feux de la rampe. Avec à l'esprit ces interrogations, pour lesquelles la réponse est certainement loin d'être donnée, la famille du défunt président a commémoré, hier, le 15e anniversaire de son assassinat. Une conférence animée par Rédha Malek, retraçant le parcours de Boudiaf, accompagnée d'une exposition de photographies a eu lieu, hier, au Palais de la culture Moufdi-Zakaria, à Alger. Par ailleurs, l'Histoire, témoin implacable, rend justice au rôle primordial joué par Mohamed Boudiaf dans la guerre d'Algérie. Il est l'un des premiers militants du Mtld à avoir appelé à la lutte armée. Les fameuses rencontres auxquelles il prit part à Paros et réunissant quelques-uns des chefs de ce que sera la Révolution de Novembre, sont perçues comme étant l'une des premières assises de la lutte armée. Il est aussi l'un des membres fondateurs du Crua (Comité Révolutionnaire pour l'Unité et Action), et membre du groupe historique, dit des 22. C'est Mohamed Boudiaf qui s'est opposé à l'idée de mettre la Révolution sous la bannière de l'Egypte, comme cela lui aurait été signifié par Gamel Abdel Nasser. Cette décision a été prise alors que l'Algérie cherchait cet appui international précieux, pour entamer sa lutte armée. Le 22 octobre 1956, Mohamed Boudiaf est capturé avec ses compagnons suite à l'arraisonnement par l'aviation française (ce qui est considéré comme le premier piratage de l'air dans le monde) de l'avion qui les menait du Maroc vers la Tunisie. Le 20 septembre 1962, il fonde le Parti de la Révolution Socialiste (P.R.S.). En juin 1963, il est arrêté et exilé dans le Sud algérien où il reste détenu pendant trois mois puis il part en exil au Maroc où il y restera jusqu'à son retour au pays. L'Algérie avait déjà entamé sa descente aux enfers. C'est en tentant de sortir le pays de la crise aiguë dans laquelle il a été plongé que le président Boudiaf a rencontré son destin. Mais, aujourd'hui, le défunt Boudiaf se trouve au Panthéon de l'Histoire nationale.