De Me Ali Yahia Abdenour à Bouteflika, ce concept a pris des résonances sémantiques qui ont évolué au gré des conjonctures politiques. Réconciliation nationale. Voilà une expression bien en vogue qui suscite tout à la fois, espoir, incertitude et scepticisme. Ayant fait brutalement irruption dans l'environnement sonore national au début des années de braise, ce concept, au demeurant noble, a été si sinueusement interprété tout au long de la décennie écoulée, qu'il a provoqué une véritable guerre sémantique que même le Larousse n'a pas pu arbitrer. Mais que signifie donc la réconciliation dans sa version algérienne ? C'est vraiment le cas de le dire, tant cette notion prend un contenu fluctuant au gré des circonstances et des conjonctures, mais surtout selon qu'il est défendu par le pouvoir, les islamistes ou l'opposition. Le fait est que quatorze ans après avoir été prononcé pour la première fois par Me Ali Yahia Abdenour, les définitions et les significations se suivent, mais ne se ressemblent pas. On a même vogué d'une réconciliation au parfum exclusiviste à une autre réconciliation aux allures capitulardes. C'est que “le parcours” de cette notion dans le discours politique algérien a été jalonné de contradictions, voire de dérives lexicales. Au commencement, l'infatigable avocat des droits de l'Homme voulait suggérer une solution à la crise algérienne, après l'arrêt du processus électoral en 1991 via la libération des dirigeants du FIS. Le FFS, par la voix de son leader charismatique, ne tarda pas à donner une couverture politique à ce principe en l'adoptant presque dans la même acception que son “inventeur” Ali Yahia Abdenour. Hocine Aït Ahmed se référa même à l'expérience de l'Afrique du Sud pour faire admettre au pouvoir de l'époque la pertinence de cette démarche politique dans l'endiguement de la crise. Mais c'était compter sans la détermination des partisans de la “solution sécuritaire” à déclarer hérétique cette méthode. L'opposition d'alors revient à la charge et propose la même réconciliation sous l'accoutrement d'un “contrat national” paraphé sous l'égide de la commission de Sant'Egidio en janvier 1995. Louisa Hanoune, Djaballah, Haddam, Aït Ahmed et Ali Yahia tentent un coup médiatique de l'extérieur pour imposer une réconciliation nationale. Le pouvoir de Zeroual, plus implacable que jamais, oppose un rejet “globalement et dans le détail” au fameux contrat national de Rome. Mais fait unique, le même Zeroual reprend quand même à son compte la quintessence de la réconciliation qu'il a tenté de vendre sous forme de “redressement national”. Pis, il lancera sa fameuse loi sur la “Rahma” (clémence) à l'endroit des égarés — entendre les terroristes au maquis — pour qu'ils réintègrent la société. La réconciliation nationale a été donc appliquée sans être assumée. Le mot réconciliation est encore exhumé par le défunt Nahnah et Djaballah qui avaient, d'orée et déjà, noyauté les institutions via la politique de participation, notamment pour le premier. Le mot ne fait plus peur. Il est plutôt de mode dans l'espace politique national. Puis vient Bouteflika avec sa concorde. Il est évident – lui-même le reconnaît — que le “candidat du consensus” n'a rien inventé sinon d'avoir accepté de donner une couverture juridique aux accords entre l'armée et l'AIS sous forme d'une loi portant concorde civile. La trouvaille juridique de Bouteflika a largement dépassé le cadre de la réconciliation nationale avec, comme pendant politique, la fameuse grâce amnistiante que certains avaient qualifiée à juste titre d'“objet juridique non identifié”. D'autres y avaient vu une souillure au sang des victimes du terrorisme et une planche de salut pour les dirigeants du FIS dissous. Devant ce tonnerre de dénonciations d'une telle “forfaiture” Bouteflika fonce droit et lâche un nouveau concept de concorde nationale dont il n'a jamais dessiné les contours. Ses partenaires politiques l'adoptent sans trop savoir ce qu'il y met. Le flou a accompagné ce concept jusqu'à la fin du premier mandat de Bouteflika sans que l'on saisisse exactement sa portée. Réélu le 8 avril dernier, le président de la République abandonne sa concorde nationale au profit de la réconciliation nationale, sur la base de laquelle il a articulé tout son discours de campagne. La mode revient très fort. La réconciliation nationale est conjuguée à tous les temps au point que le signifié ne ressemble pas au signifiant. Le concept domine le débat politique, mais ses projections et ses implications demeurent mystérieuses, tant Bouteflika n'a pas encore explicité sa formule. Jusqu'où ira le président avec sa réconciliation nationale ? Nul ne peut le deviner, même si des kilomètres d'écrits ont été consacrés à ce sujet et que le programme du gouvernement porte un titre générique de cette “philosophie Bouteflikienne”. Et quand le président évoque des mesures déjà prises, il y a deux années — le statut national pour tamazight, — comme actes de réconciliation, le flou devient un peu plus ambiant dans cet immense chantier herculéen. H. M.