Sarkozy veut rompre avec le passé pour mieux utiliser les ingrédients de ce même passé. Le nouveau président français, Nicolas Sarkozy, qui a fait ses premiers pas en Afrique en visitant successivement le Sénégal et le Gabon, respectivement jeudi et vendredi, fait du populisme à rebours, annonçant la rupture avec les pratiques du passé en en conservant l'esprit et les méthodes. Cela a été flagrant dans le discours prononcé, jeudi, à l'université Cheikh Anta Diop devant les étudiants sénégalais. D'ailleurs, unanime, la presse privée sénégalaise a été outrée par le ton professoral pris par le président français, estimant, dans sa majorité, «injurieuse» la «leçon» donnée par M.Sarkozy aux Sénégalais. On ne se refait pas! Le paternalisme occidental, plus particulièrement français, est là, prêt à donner la leçon, à redresser les torts mais qui ne voit jamais ses propres pêchés. C'est un peu le cas de M.Sarkozy, condamnant l'esclavagisme, qui n'est que l'un des aspects -sans doute le plus hideux - du colonialisme qu'il épargne curieusement. Mais la page noire du colonialisme peut-elle jamais être déchirée- et surtout pas par des représentants des anciens colonisateurs alors que l'Afrique attend toujours, outre la repentance, une reconnaissance en bonne et due forme du mal que l'Europe, plus particulièrement la France, avait commis au continent noir. Peut-on oublier la conférence de Berlin de 1881 qui s'est attelée à découper l'Afrique entre les puissances européennes, chacune réclamant sa part du gâteau africain, la France s'en réservant le plus gros morceau? M.Sarkozy, à l'adresse des étudiants sénégalais affirmait que si les Africains voulaient sortir de «l'arbitraire», de «la corruption», de «la violence», du «parasitisme» et du «clientélisme», c'était à eux «de le décider». C'est quasiment de la provocation lorsque l'on sait que c'est la France, singulièrement, qui a soutenu les dictatures africaines, qui a créé une diplomatie parallèle servant et protégeant nombre de dictateurs africains (qui ont su d'ailleurs renvoyer l'ascenseur), souvent au détriment des peuples africains. A Libreville (Gabon deuxième étape de sa visite en Afrique) le président français a dit: «Je veux aider l'Afrique à se développer et je veux lui parler franchement comme je l'ai fait à Dakar hier» (jeudi) lors d'une conférence de presse en marge de sa visite de quelques heures au Gabon. «On ne peut pas tout mettre sur le dos de la colonisation (...). La corruption, les dictateurs, les génocides, c'est pas la colonisation», a affirmé M.Sarkozy. Or, la corruption, le clientélisme, et leur levier, la dictature, c'est avant tout une pratique (coloniale) bien française qui a maintenu, quand elle n'a pas accentué, le sous-développement dans le continent noir. Il ne s'agit ici que de constater un fait que l'histoire atteste. Or, M.Sarkozy parle de «rupture» d'un côté, tout en traçant, d'un autre côté, ce que doivent faire les Africains. Si ce n'est pas là du paternalisme, je n'ai alors rien compris à ce que dit le président des Français, qui estime, d'autre part, que le colonialisme n'aura été qu'une «grande faute». Rien que ça. Dépersonnaliser des populations africaines, faire perdre leur identité à nombre d'autres, faire déplacer des milliers d'individus, diviser des familles, des tribus et des ethnies par un partage inique de l'Afrique -qui a rendu le génocide et les guerres civiles possibles- (voir singulièrement les récentes crises en Côte d'Ivoire, ou encore les génocides commis au Rwanda en 1994 où la France a eu un triste rôle) n'est-ce pas là un crime contre l'humanité? Réagissant au discours de Nicolas Sarkozy, le président de la Commission de l'Union africaine, Alpha Oumar Konaré s'inscrit en faux contre l'imagerie que présente le président français, du colonialisme en Afrique en indiquant que le discours du président français «n'est pas le genre de rupture qui était souhaitée» dans une déclaration à la radio française RFI. «Ce discours n'est pas le genre de rupture qu'on aurait souhaité. Ce discours n'est pas neuf dans le fond, il rappelle des déclarations fort anciennes, d'une autre époque (...)». En fait, la rupture que préconise M.Sarkozy avec le passé n'en est pas une, puisque l'hôte de l'Elysée ne prend aucune distance avec les crimes commis aux XIXe et XXe siècles au nom de la France, crimes qu'il a réduit à de simples fautes qui peuvent être passées, par l'Afrique, par pertes et profits. Or, le code de l'indigénat du colonialisme français en Algérie a été le premier à faire de la ségrégation fondée sur la race et à pratiquer l'apartheid avant l'heure, avant même que les Sud-Africains blancs n'en fassent leur politique nationale de domination. On voit bien que M.Sarkozy à encore à réviser ses humanités et à assumer tout le colonialisme français, avec ce qu'il avait pu apporter aux peuples africains, certes, mais aussi, surtout, assumer son côté négatif avec tous les crimes et désolations qui ont marqué son passage dans le continent africain. Le colonialisme français en Afrique restera, à jamais, une tache noire indélébile dans l'histoire, par ailleurs, riche de la France. C'est aux Français de faire l'indispensable effort de mémoire -qui n'est pas de la culpabilisation- et à accepter leur passé colonial pour mieux s'en démarquer et le condamner car c'est la voie à même de réconcilier l'Afrique avec la France et ouvrir la page pour assumer une véritable rupture. On en est pas là, et le passage du nouveau président français au Maghreb et en Afrique de l'Ouest, qui fait une lecture tronquée de ce passé commun, n'en montre pas les prémices, quoi qu'il en dise.