Blocage politique, affaire Hariri, combats au camp de Nahr Al Bared. Y avait-il place pour des partielles? Surréalistes, c'est peu de le dire, sont les partielles organisées dimanche aux fins de pourvoir aux deux sièges laissés vacants au Parlement par l'assassinat des députés Pierre Gemayel et Walid Eido. Mais en fait l'urgence libanaise était-elle là? C'est la question que d'aucuns se posaient au lendemain de la décision du gouvernement Siniora d'organiser ces partielles. D'ailleurs celles-ci se sont tenues malgré l'opposition du président Lahoud, celui-ci ne reconnaissant plus la légitimité du gouvernement -soutenu par les Occidentaux- depuis la démission des six ministres chiites. Démission qui a rendu caduque le fonctionnement du cabinet Siniora, car ne il répondait plus aux critères de la loi fondamentale libanaise. D'autre part, c'était un luxe que d'organiser de telles élections sur fond d'instabilité politique et de combats -dans le nord, entre l'armée et un groupe islamiste retranché dans un camp palestinien depuis le 20 mai, d'une part, de l'imbroglio juridique autour de la création du Tribunal international Hariri devant juger de l'affaire de l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais-, d'autre part. Par ailleurs, notons que ce scrutin législatif s'est tenu à quelques semaines de l'élection du président du Liban, fixée au 25 septembre, alors que le mandat d'Emile Lahoud arrive à échéance le 25 novembre prochain. En fait, l'élection du député de la région du Metn, fief de la famille Gemayel, outre de désigner un remplaçant à Pierre Gemayel, était considérée comme un test dans la lutte qui oppose deux éminents représentants de la communauté chrétienne, l'ancien président Amine Gemayel -qui postulait au siège laissé vacant par son fils assassiné- et Michel Aoun, leader du Courant patriotique libre, qui soutient Camille Khoury, candidat à ce même siège du Metn. Cette opposition des deux poids lourds de la communauté maronite, donnait un avant-goût de ce que sera l'élection du président du Liban, poste traditionnellement réservé à un chrétien. Or, ce scrutin loin d'éclairer la donne, a davantage compliqué les choses sinon envenimé les rapports entre les maronites par la présence de deux camps chrétiens antagonistes. Et la victoire de justesse du camp d'Aoun -Camille Khoury gagnant avec une centaine de voix d'avance sur M.Gemayel- risque surtout d'accentuer la paralysie actuelle des institutions libanaises. D'ailleurs, les commentaires désabusés hier de la presse libanaise donnaient le ton du climat de division qui ébranle le Liban. Ainsi, le quotidien Al-Mostaqbal (du clan des Hariri) proche de la majorité anti-syrienne, écrivait hier que «les résultats ont mis fin à l'idée de l'unique représentation des chrétiens. Aoun a payé pour ses alliances avec ceux qui veulent le retour de l'hégémonie syrienne» accusant ainsi en filigrane Michel Aoun d'être quelque part responsable de la division des chrétiens libanais. Pour sa part, le journal d'opposition Ad Diyar affirme: «Aoun a gagné par les chiffres, Gemayel a récupéré le leadership du Metn même avec des fraudes.» Malgré sa victoire «Aoun a perdu chez les chrétiens maronites mais a gagné électoralement avec une différence de 418 voix», relevait pour sa part le grand quotidien An Nahar, proche du courant majoritaire. Selon les résultats officiels communiqués dans la nuit de dimanche à lundi par le ministre de l'Intérieur Hassan Sabeh, Camille Khoury, le candidat du Courant patriotique libre (CPL), a devancé de justesse l'ancien président Amine Gemayel. Deux sièges de députés assassinés étaient soumis au vote: dans le Metn, celui du chrétien maronite Pierre Gemayel et à Beyrouth, celui du sunnite Walid Eido. A Beyrouth, le candidat de la majorité, Mohamed Amine Itani, a été élu sans surprise. Au final, le scrutin organisé, en dépit du bon sens, par la majorité au pouvoir, a plus compliqué la donne libanaise qu'il n'a contribué à la clarifier, rendant encore plus hypothétique la tenue de l'élection (par le Parlement) du futur chef de l'Etat libanais pour succéder à M.Lahoud. Par ailleurs, alors que l'on s'étripait à Beyrouth pour deux sièges au Parlement, au camp de réfugiés palestiniens de Nahr Al Bared, les combats continuaient à faire rage entre les islamistes de Fatah Al-Islam et l'armée libanaise. Cette dernière, qui encercle le camp depuis plus de deux mois, n'arrive pas à déloger la poignée d'islamistes qui tiennent le coup contre une armée disposant de chars et d'avions. En sus de la crise politique que le scrutin de dimanche a encore aggravée, les combats qui opposent l'armée au groupe islamiste du Fatah Al-Islam, le Liban se trouve encore plongé en plein imbroglio de l'affaire Hariri et de la création du tribunal devant en connaître et la juger. Le Liban, qui a été un jour la vitrine de modernité et de démocratie du monde arabe, en représente, aujourd'hui toutes les tares.