Le jugement défavorable à Novartis conforte l'industrie des génériques. La Haute cour de justice de Chennai, au sud de l'Inde, a débouté, le 6 août, la multinationale du médicament suisse Novartis dans sa demande tendant à faire déclarer illégale la décision du gouvernement indien d'empêcher le brevetage de son médicament contre le cancer Glivec, de même que la législation fondant ce refus. Pour rappel, ce couronnement n'est en fait pas le premier. En 2001, une procédure avait opposé, pendant un an, en Afrique du Sud, des firmes pharmaceutiques à des militants antisida. Ce bras de fer s'est conclu par la signature d'accords historiques entre les deux parties, ouvrant la voie aux médicaments génériques antisida dans toute l'Afrique subsaharienne. Les accords signés permettent à des producteurs de génériques de fabriquer et de distribuer trois molécules, à savoir l'AZT, la lamivudine et la névirapine, médicaments utilisés dans la lutte contre le sida. Les licences sont accordées dans des conditions «raisonnables» (le taux de royalties versées aux laboratoires n'excédera pas 5% du prix net des ventes). Pour ce qui est du cas indien, Novartis a attaqué la section 3 (d) de la loi indienne sur les brevets. Le laboratoire suisse prétend que cette loi n'est pas conforme à l'accord de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les aspects contenus dans l'accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Adpic). La loi indienne permet de ne pas accorder de brevet à une version modifiée d'un médicament en vente si elle n'apporte pas de réelles innovations ou gain d'efficacité par rapport à des produits ou procédés précédents. Ces dispositions (non brevetables de nouveaux usages ou formes de substances connues qui n'améliorent pas l'efficacité du médicament) sont des flexibilités reconnues par l'accord Adpic. Jusqu'en 2005, l'Inde n'était pas tenue d'accorder des brevets sur les médicaments. Après son accession en 1995 à l'OMC, elle a bénéficié de 10 ans pour se mettre en conformité avec les directives régissant les brevets. L'Inde a adopté une législation sur les brevets qui tire parti des mesures de protection prévues dans l'Adpic. Celles-ci donnent le droit, souligne-t-on, aux gouvernements de pays touchés par une crise sanitaire d'outrepasser certaines lois afférentes aux droits de propriété intellectuelle. Ce qui est en l'espèce, le cas pour les pays d'Afrique australe submergés par le virus VIH. De son côté, Médecins sans frontières (MSF) a fait savoir, dans un communiqué de presse, que le verdict énoncé à Chennai représentait une victoire immense pour l'accès à des médicaments abordables pour les pays pauvres. MSF a lancé, depuis l'annonce du procès en 2006, une pétition internationale priant Novartis de retirer sa poursuite contre l'Etat indien. L'ONG a récolté 420.000 signatures qu'elle a déposées, après le verdict, au siège de la multinationale. En Suisse, une ONG «La déclaration de Berne», a salué la décision de la justice indienne. Elle a demandé à Novartis de respecter le jugement en renonçant à faire appel et aux autorités suisses de ne pas déposer de plainte contre l'Inde à l'OMC. Seul un Etat peut porter un litige devant l'OMC. Les producteurs indiens de médicaments génériques se souviendront de cette date qui sera à jamais gravée dans leur mémoire. Grâce à son énorme industrie de fabrication de produits génériques, l'Inde est considérée comme «la pharmacie des pays en développement». Elle exporte les deux tiers de sa production vers ces pays. Les prix de ces médicaments sont largement inférieurs à ceux des médicaments brevetés. Grâce à cela, 80% des malades du sida, pris en charge dans les programmes de MSF, sont soignés avec des antirétroviraux génériques produits en Inde. «Nos programmes de soins reposent sur l'utilisation de ces médicaments de qualité et peu onéreux, ce qui nous permet de soigner le plus de malades possible», déclare le Dr Christophe Fournier, président du conseil international de MSF. «Nous ne pouvons accepter que cette source indispensable de médicaments se tarisse» ajoute-t-il. La sentence du tribunal de Chennai dans le cas du procès Novartis-Inde est une victoire pour la santé publique et le droit des pays en développement à une garantie à l'accès aux médicaments. L'Inde est le seul pays qui a su tirer profit des flexibilités prévues par les Adpic. La vraie question maintenant est de savoir pourquoi les autres pays ne suivent pas la même voie? En dépit de la forte consommation de médicaments génériques en Algérie, notamment l'insuline, le problème reste toujours posé. Le quotidien des Algériens souffrant de maladies chroniques n'est pas près de s'améliorer, alors que la facture médicale ne cesse d'augmenter d'une année à l'autre. Résultat d'une dépendance de l'importation du médicament qui peut être cassée, pour peu que l'Algérie prenne exemple sur l'Inde et produise ses propres médicaments génériques.