Il n'est pas simple de parler du passé, si les documents anciens restent muets ou sont passés sous silence... Si revisiter le passé semble, pour certains, toujours un devoir de mémoire, il est tout aussi bien un devoir de faire oeuvre de science et de pédagogie, car, ici, l'objet «d'établir l'histoire d'Alger» est incontestablement une gageure impliquant trop de risques. Pourtant, Nadir Assari a pris son courage à deux mains, a rassemblé les documents qu'il a jugés utiles, leur a fait parler le langage qu'il a le mieux compris; il nous propose Alger, des origines à la Régence turque (*). Sans doute, a-t-il écouté les Algérois, a-t-il observé les différentes attitudes des historiens face à l'histoire de la Ville, a-t-il compulsé les notes et les rapports des «vénérables personnalités scientifiques» de l'époque coloniale. Il a relevé aussi l'enthousiasme des littérateurs de la conquête et de ses artistes «subjugués par la lumière, les couleurs et ce subtil parfum d'exotisme qui émanait de la ville». Mais est-ce bien là l'histoire d'Alger? Non pas, une longue quête, une longue enquête, l'une et l'autre, libres et patientes, conduites avec compétence, sont évidemment indispensables. Nadir Assari a eu, je crois, ce sursaut légitime d'entrer directement, sans complexe, dans le sujet en écrivant: «Mais enfin, il reste que ces regards sont ceux d'étrangers.» Sans doute, sauf que ce n'est pas encore un argument fort. Cependant, il a peut-être raison de préciser, aussitôt, puisqu'il est né à Bab El Oued (Alger): «Aussi, partant du principe que l'histoire d'une ville ne peut être écrite que par ses habitants, c'est à la réhabilitation de cette cité, dont la naissance remonte à 13 siècles avant Jésus-Christ, que nous avons voulu consacrer notre ouvrage.» Il s'agit donc d'une «réhabilitation» par proposition théorique: «un travail de compilation de textes descriptifs des repères typographiques et étayé par des illustrations (dessins, peintures ou photographies) qui s'y rapportent.» Effectivement, dans le texte, ont été calées de nombreuses reproductions, parfois, il faut bien le dire, très discutables quant à leur opportunité et, parfois, à leur crédibilité, donnant, plutôt davantage au lecteur, le sentiment de tourner les feuillets luxueux d'un album plein d'un passé qui, pourtant, émeut et force le respect. Mais il reste une ambiguïté, vraiment pesante, sur les objectifs et les ambitions d'une telle publication, dans le fond et dans la forme. En effet, s'il est sûr que l'histoire porte sur la Ville et que «Malgré tout, Alger reste méconnue de ses habitants à tout point de vue», il aurait été logique de concevoir un ouvrage pratique pour répondre immédiatement au besoin constaté. Si, comme l'écrit l'auteur, «Notre souhait serait que notre contribution à la connaissance de notre patrimoine, qui nous a été légué et qui a survécu à toutes les vicissitudes de l'Histoire, puisse servir à la sauvegarde de ce qu'il en reste, avant qu'il ne soit vraiment trop tard, si cela ne l'est déjà», l'ouvrage aurait été consacré à cette juste et seule fonction. Si, comme l'écrit encore généreusement l'auteur, «Puisse cet ouvrage aider également à la compréhension entre les peuples et au rapprochement de tous ceux qui ont eu à partager l'histoire de l'Algérie», des commentaires critiques et pertinents ciblant la politique, la société, l'économie, la culture, la religion, et bien ancrés dans l'histoire d'Alger, passé, présent et avenir, auraient certainement élevé l'esprit des Algérois. En outre, les Algériens, en proie à d'incessantes polémiques intérieures et extérieures sur la date de la fondation d'Alger et sur son rôle exceptionnel dans l'affirmation de son autorité, auraient été définitivement ravis de l'apport personnel de l'auteur. Cela dit, globalement, le labeur de Nadir Assari constitue un joli album à offrir et, pour cela seul, les éditions Alpha méritent des compliments.