En attendant que la réforme de l'éducation se dévoile, quelle quête d'espoir pourrait aujourd'hui nourrir l'école algérienne? Je pense qu'il faudrait concevoir pour l'Education nationale une véritable émancipation, une totale libération de l'archaïsme de ses programmes et de ses méthodes, et parfaire la formation de ses enseignants, puisqu'il me semble bien établi que la majorité des Algériens a reconnu et défini, depuis belle lurette, le mortel sinistre subi par l'école algérienne. Justement, Chems Eddine Chitour, avec son ouvrage L'éducation et la culture en Algérie - Des origines à nos jours (*), se donne pour objectif de faire «un état des lieux de l'éducation et de la culture de ce pays (entendre l'Algérie) à travers les âges». Il justifie son projet, ajoutant: «Ce devoir de mémoire permettra de rectifier toutes les erreurs délibérées des historiens occidentaux qui ont, à de rares exceptions, milité avec un zèle de bénédictin pour la terre vierge et le mythe du bon sauvage, s'agissant de la créativité et de l'histoire scientifique et culturelle de ce pays.» L'auteur, qui est professeur de raffinage et de thermodynamique à l'Ecole nationale polytechnique, s'est spécialisé dans le vaste domaine du pétrole dont il a étudié la chimie physique. Il en a fait aussi tout particulièrement un examen rationnel des enjeux économiques et politiques qu'il suscite dans les milieux où s'initient, se développent et s'organisent certaines idées troublantes de la géopolitique de cet «or noir» et de sa mondialisation. Toutefois, rappelons aussi que Chems Eddine Chitour a publié non seulement de nombreux ouvrages «inspirés» du pétrole et par lesquels brille sa compétence, mais d'autres ouvrages dont L'Algérie: le passé revisité; L'Islam et l'Occident chrétien - Pour une quête de la tolérance, et Histoire religieuse de l'Algérie - l'identité et la religion face à la modernité. Ces derniers ouvrages, autant que le présent, témoignent de la foi de notre auteur en l'avenir de son pays. De plus, il a la puissante volonté d'expliquer les raisons de son ferme optimisme en commençant, tout simplement, par «revisiter» le passé comme un devoir de mémoire, et tout en dénonçant les falsifications et les mystifications de toutes sortes que les maîtres à penser (les civils et les militaires) du colonialisme ancien et du néocolonialisme ne cessent encore aujourd'hui, ici et là, de fabriquer dans de secrètes officines, sous des cieux inchangés de l'histoire qui se voudrait elle-même inchangeable, c'est-à-dire une histoire qui serait un rêve de bonheur infini pour le colonisateur et un cauchemar incessant pour le colonisé. Mais ces «maîtres» savent-ils ou ne savent-ils pas que, «en réalité, ainsi que l'écrit l'immense Ibn Khaldoun dans sa Mouqaddima, l'histoire se caractérise par l'examen et la vérification des faits, la recherche précise des causes et des origines des choses existantes, la connaissance profonde de la manière dont les événements se sont passés et de leurs connexions». Voilà nul doute une leçon de méthodologie, et bien plus, disons «un trait d'esprit scientifique», - si l'on est d'accord, bien sûr, pour reconnaître que l'histoire est une science, et la science la plus ancienne de l'homme! Aussi, les historiens algériens, et tous nos chercheurs dans d'autres domaines, n'ont-ils pas déjà fait merveille par la qualité de leur méthode, la très grande utilité et la noblesse du but qu'ils se sont assigné: non pas refaire l'histoire de l'Algérie, mais dire dans ses moindres faits l'histoire de l'Algérie en révélant «l'amer» et en préservant «le doux» comme l'exigerait le simple bon sens de nos paysans. C'est, en effet, par là que l'on accède à la vérité, et quelle qu'elle soit, bonne ou mauvaise, car pour une nation forte de coeur et de raison, c'est-à-dire de conscience, cette vérité est toujours un enrichissement, un bien inestimable et incommensurable à transmettre aux générations successives. C'est un peu dans cet état d'esprit qu'il faut lire le livre de Chitour dont «l'ambition, écrit-il, est de faire une nouvelle lecture de l'histoire culturelle et scientifique de l'Algérie, une revisitation des faits, de tous les faits, pas seulement de ceux qui nous ont été ingurgités à marche forcée, mais aussi ceux qui existent objectivement, même si nous prenons le légitime risque d'être un révisionniste pour la bonne cause». Notre auteur remonte alors «aux premières lueurs de la civilisation berbère» et, à partir de là, il s'engage sans complexe, et analyse après analyse, commentaire après commentaire, à présenter les réalités et les caractéristiques de la culture et de l'éducation dans notre pays pendant les périodes d'occupations étrangères. Voici donc la période romaine et l'avènement du christianisme (avec des vies et des oeuvres de savants et d'hommes de lettres célèbres: Apulée de Madaure, Donat le Grand, Juba II), puis celle des dynasties musulmanes au Maghreb qui ont brillé tour à tour grâce à l'apport de la science musulmane du 10e au 15e siècle, et en comparaison avec l'éducation et la culture des pays européens à la même époque, puis celle de la Régence d'Alger, puis celle de l'Emir Abdelkader, puis celle de la colonisation française, enfin celle de l'indépendance qui encourage à poser les vrais problèmes de culture et d'éducation. L'auteur parle de complexe de négation du génie algérien. Il écrit: «Il doit y avoir une place pour la culture, la civilisation et la langue algérienne en Algérie (...) Nous sommes, à notre façon, un pays du juste milieu, qui doit montrer qu'il est grand non seulement par son histoire, vieille de plus de trois mille ans et par sa géographie, mais aussi par la mosaïque de ses cultures.» Il conclut: «Nous devons contribuer à protéger notre identité en tant qu'Algériens.» D'accord, mais comment? Il faudrait concevoir une oeuvre grandiose à l'image du génie populaire algérien capable d'établir un lien solide entre un noble enracinement et un modernisme éclairé. Mais comment? Cette oeuvre pourrait être une révolution de beauté et de conviction : une grande rencontre avec nous-mêmes pour être nous-mêmes. Mais comment? Il y a semble-t-il beaucoup trop de considérants et beaucoup trop de «réalités» et de «vérités». Or il faut, comme chacun sait, distinguer «réalité» et «vérité» tout en évitant de sombrer dans le dogmatisme...Mais comment?!