Le mois du Ramadhan n'existe pas comme entité statistique dans la comptabilité nationale. Pourtant, il y a de quoi tant le phénomène saisonnier laisse son empreinte sur l'activité. Une pause dans la croissance. Il ne faudra pas s'arrêter avec elle et réfléchir à réduire son impact « malthusien » surtout lorsque arrivera bientôt le Ramadhan sur les plages de l'été. Qui a eu l'idée de nous convoquer à 10 h du matin un jeudi de Ramadhan ? » Six personnes, pas plus après une demi-heure d'attente, pour cette réunion de parents d'élèves dans un CEM de Ben Aknoun. Dommage, une des mamans voulait soulever le problème des cours de soutien qui n'ont toujours pas démarré... pour cause de Ramadhan. « Après l'Aïd » est le mot d'ordre le plus en vogue dès la deuxième semaine du Ramadhan. A l'école, où les cours font trois quarts d'heure, comme partout ailleurs l'activité paraît suspendue... au calendrier sur le mur. Et aussi à la montre digitale du bureau. Pour la comptabilité nationale, il y a là une petite déprime saisonnière que l'on évite de quantifier lorsqu'on s'empresse de multiplier les chiffres farfelues sur les préjudices économiques du week- end actuel comparé au week-end « universel ». Les filières qui freinent des quatre fers pendant le mois du jeûne sont pourtant légion. D'abord toutes celles liées à la mobilité des Algériens. On ne bouge pas pendant « le jingle » du Ramadhan. Conséquence, le tourisme, le transport aérien et maritime bien sûr mais aussi ferroviaire et routier entre pôles urbains, travaillent au ralenti. La fréquentation du pays par les étrangers retombe aussi. Colloques, séminaires, salons professionnels, missions d'affaires, tout est à l'arrêt, seules surnagent les visites dans le grand Sahara où les grands espaces engloutissent la frénésie du temps. Les activités de service « non essentielles », sont les autres sinistrées du chamboulement des priorités de dépenses. « J'ai la voiture cabossée, je n'ai pas réussi à la faire réparer avant le Ramadhan, ce sera pour après : pas question de la donner à un tôlier pendant ce mois, il mettrait deux fois plus de temps pour un travail moins bon », se plaint Nabila, 45 ans, médecin. Et d'ajouter : « De toute façon, je n'ai pas d'argent pour la réparation ce mois-ci. » La sanction est donc double, on fait d'autant moins travailler les métiers suspectés de faible rendement pendant le Ramadhan que l'on consacre son argent à garnir la table du f'tour puis la garde-robe des enfants à la veille de l'Aïd. Soins dentaires ? Travaux de peinture à la maison ? Inscription à des cours de langue ou à des séances d'aérobic ? Déménagements ? Il vaut mieux attendre El f'tar. Inutile enfin de parler des commerces de la restauration et de ceux qui s'éloignent le plus des préoccupations du Ramadhan comme vendre des livres d'art, des meubles en fer forgé ou, dans un magasin de tunning, des échappements chromés pour embellir votre voiture. Le sinistre est complet. Le mois où l'on fait travailler les stocks Tous les indices saisonniers ne vont pas nécessairement dans le même sens à l'arrivée du Ramadhan. La consommation des ménages est plus forte mais profite à un panel de biens et services plus restreint. Qu'en est-il de la production ? L'idée admise est qu'elle baisse, car on travaille moins pendant le mois de Ramadhan. Est-ce si sûr ? « A la SNVI à l'automne 2003, on a travaillé bien plus pendant le Ramadhan car on avait un plan de charge d'urgence pour livrer les chalets de relogement des sinistrés de Boumerdès », se rappelle un syndicaliste de Rouiba. C'est l'incitation du carnet de commande qui serait donc la plus forte. Discutable tout de même. Pour Rachid, jeune ingénieur retraité de l'industrie publique, « le vrai obstacle à un rendement normal pendant le Ramadhan, c'est la durée effective de la journée de travail. On a souvent une bonne productivité pendant les quatre ou cinq premières heures de la journée mais au-delà de 13 h les signes de fatigue sont là et même si on cherche à maintenir la cadence l'environnement ne suit pas, il va manquer une fourniture ou un service de réparation, tout simplement parce que l'on est entré dans H-5 ». H correspondant bien sûr à l'appel du muezzin. C'est dans le bâtiment que cette tendance est la plus spectaculaire. Les maçons débutent leur travail aussi tôt que pendant le f'tar car pour la plupart ils résident dans les chantiers. Ils avancent normalement durant la journée et parfois mieux car ils ne s'arrêtent pas pour fumer ou pour prendre un café. Mais inutile de chercher un chantier d'auto-construction qui se poursuit au-delà de 14 h. Pire encore, au-delà de la troisième semaine du Ramadhan. « Il faut goûter pendant quelques jours au moins à la chorba de la maison, sinon ce n'est pas Ramadhan », explique Aïssa, vieux carreleur qui rentre tous les ans chez lui du côté de Djemila dès que la pleine lune de la mi-Ramadhan amorce sa cure d'amincissement. Il existe bien sûr les activités où l'on peut reprendre le travail le soir après le f'tour avec souvent plus de succès que dans la journée comme dans l'édition de presse, la communication ou encore quelques commerces de détail. Cela ne pèse pas lourd dans la balance globale. Il faut bien se résoudre à ce constat : tout ce qui n'est pas soumis à une forte astreinte de résultat, baisse pied pendant le mois de jeûne. « Ramadan ? c'est le mois où l'on fait travailler les stocks », résume pour rire un producteur de tuiles de l'ouest d'Alger. « Le manque à gagner » pour les indices d'activités est-il compensé par l'économie « spécifique » du Ramadhan : le rush sur les articles « comestibles », les sahrate, l'Aïd ? Il faudra là aussi apprendre à mesurer. La consommation ? Les promotions très agressives sur la téléphonie mobile, l'électronique grand public et l'automobile sont bien là pour dire combien il est difficile de faire du chiffre d'affaires pendant le Ramadhan à prix habituels, lorsqu'on propose autre chose que de l'alimentation. L'économie du spectacle ? La concurrence de la télévision et des tarawih est de plus en plus rude. Tout le monde n'est pas cheikh El Ghafour ou Aït Menguellet pour faire salle comble. Les pièces de théâtre sont rares, l'offre artistique faible. Avec l'allongement des soirées, les salons de thé les plus branchés prennent l'allure de cabaret où il faut réserver sa table : des petites bulles dans le microcosme. Il faut un colossal MCA-USMA au stade du 5 Juillet avec ces 70 000 places à 200 DA - dont une bonne moitié revendues sur place à 100 DA de plus - pour parler à nouveau business nocturne à grande échelle. Mais là, ce n'est pas tout à fait une affaire propre aux soirées du Ramadhan. L'Aïd ? Cela relance le commerce de l'habillement et les activités annexes de même que le transport refait un bond dans la dernière semaine du Ramadhan, dans le même temps l'approche de l'Aïd sonne le glas des pâtissiers et plus généralement du boom alimentaire. Une réforme est-elle possible ? Rendement des travailleurs plus faible, journée de travail plus courte, dépression de l'activité pour de nombreuses branches, report des décisions d'entreprendre : l'économie spécifique du Ramadhan n'est pas un modèle productiviste. Un problème ? Peut-être pas au fond, si l'on considère qu'il a par ailleurs des vertus sociales - solidarité plus forte, cohésion familiale, baisse du tabagisme, embryon de vie nocturne, légère trêve de la consommation culturelle mondialiste au profit du patrimoine artistique algérien, etc. - que l'on ne cherche pas à mesurer. Les nouvelles théories anti-croissance trouveront même du bien à ce mois de jeûne où la baisse de la production va avec la baisse de l'agression de l'environnement puisque de fait on pollue moins si on produit moins. L'impact du mois de Ramadhan sur le rythme de l'activité peut-il pour autant être contenu dans les années qui viennent, lorsque l'économie algérienne sera encore plus liée à l'internationale et qu'elle perdra donc plus à décrocher dans des effluves de chorba durant un mois entier ? La Tunisie et le Maroc subissent moins les contrecoups économiques du Ramadhan. Leurs entreprises sont branchées sur la concurrence mondiale où il n'y a pas de break à ce moment de l'année. L'environnement administratif suit le pas. En Algérie, il faudra sans doute réfléchir aux douze-quinze prochaines années. Le Ramadhan va passer dans la zone la plus délicate de l'année ; l'été où les journées sont interminables et les nuits sont courtes mais les veillées encore plus longues. Un véritable défi de plus pour les musulmans en général, une gageure pour les travailleurs. C'est peut-être là qu'il faudra faire preuve de courage et d'imagination, un peu plus que pour le retour au week- end universel dont l'argumentaire reste léger jusque-là. Un congé d'office pour tout le monde la dernière semaine du Ramadhan en saison caniculaire peut s'avérer plus bénéfique pour toute l'activité avant et après l'Aïd. Le retour à l'horaire naturel de l'Algérie, c'est-à-dire à GMT - pour rappel le méridien zéro de Greenwich passe par Stidia près de Mostaganem - pourrait ramener l'heure de la rupture du jeune à une heure plus tôt, pour un temps de jeûne équivalent (l'imsak interviendrait une heure plus tôt aussi). Se mettre à la table du f'tour à 19h 30 au lieu de 20 h 30 au mois de juillet, voilà qui peut doper le moral des jeûneurs-bosseurs pour passer la bosse de l'été.