L'islamophobie est en train de prendre des proportions alarmantes. La guerre est déclarée, surtout après le 11 septembre. Une aubaine morbide pour ceux, qui, après la fin de la guerre froide, ont pris comme figure du nouvel ennemi: le musulman. Une vieille rengaine, avec ses clichés anciens. Les extrémistes de tous bords sont en train de prendre en otage le monde entier et le monde arabo-musulman en particulier. Chacun y va de sa fatwa ou de son discours belliciste. Les charlatans et va-en-guerre sont partout. Pour les intégristes un des buts est d'enfermer les valeurs culturelles et spirituelles dans une vision rétrograde. Pour des soit-disant modernistes, il s'agit de soumettre ces valeurs à des paramètres qui les vident de leur sens en les occidentalisant. La situation est préoccupante, l'islamophobie profite de ces deux tendances de la contrefaçon. La liberté de conscience est un acquis garanti par l'Islam, et la foi est une affaire privée. Nul ne doit interférer, mais il reste à le démontrer tous les jours dans les faits. Par ailleurs, les dires, les idées et les actes des uns et des autres, une fois rendus publics, doivent être déconstruits et critiqués avec sérénité. Car il est question d'enjeux qui concernent l'avenir. En ce mois de Ramadhan, pour l'Islam, temps majeur du souvenir de la révélation du Coran, pour certains intellectuels, en particulier résidents en rive Nord, qui se disent «musulmans de culture», on les lit et on les entend commenter dans la presse. Même s'ils ont basculé dans un autre univers mental, et c'est leur droit, qui peut les rendre insensibles aux questions que se pose le peuple profond. L'urgence d'un débat Pis, certains pseudo-convertis en rive Nord, ultraminoritaires, chevaux de Troie, pour troubler les esprits, prétendent se fabriquer des recettes de croyance à la carte, self Islam, disent-ils, et déclarent, par exemple, qu'il n'est pas nécessaire de jeûner durant le Ramadhan, un des cinq piliers de l'Islam. D'autres fabulent en se concoctant un nouvel Islam à la mode du jour. Situation tragi-comique. Et c'est à ceux-là que des médias étrangers ouvrent leurs colonnes et offrent leurs plateaux de télévision. Chacun est libre, mais, on est également libre de ne pas partager des affirmations et positions de ces «intellectuels». C'est donc avec le sourire que l'on réfute ces situations de polémiques, pathétiques, d'auteurs en mal de sensationnel et de bouc émissaire. Les spéculations qu'ils pratiquent avec pédantisme et inadéquation ne nous intéressent pas. Ce qui est si haut et si grand se moque de ces fades pitreries. Tout comme doit être triste la vie de ceux qui cultivent le repli, la fermeture et la haine de l'autre, sous prétexte d'êtres victimes de l'ordre dominant. Il est urgent de prendre la parole et de débattre pour clarifier. Ce qui doit retenir notre attention est le travail d'intellectuels sérieux qui s'interrogent sur les difficultés de nos communautés. La plupart parmi les intellectuels dits «modernistes», par exemple, originaires de la rive Sud, sont parfois brillants, capables d'oeuvres utiles. Mais leur discours est inaudible, hermétique, d'abord de par leur vocabulaire et leur vision abstraite. La vision de certains d'entre eux au sujet des valeurs de leur origine est souvent biaisée, comme nombre de «convertis» à une nouvelle vie. Sans discernement, ils se présentent en donneurs de leçons et ne regardent que les aspects négatifs de leur passé. Ils confondent souvent entre références fondatrices et dérives politiques, sociales et historiques. Certes, il y a des difficultés et des conditions pour interpréter les textes, en particulier le Coran. Et ce travail possible et nécessaire reste insuffisant. Mais c'est un aveu d'impuissance que de prétendre y trouver la cause de retards et d'incohérences de certains des musulmans d'aujourd'hui. Et plus encore, c'est un aveu d'échec, de déformer la culture de l'autre ou de soi et de vouloir rendre caduc tel ou tel verset ou disposition coranique, au lieu de faire évoluer l'interprétation et la compréhension. Bien plus, ils tombent dans le piège du dénigrement systématique et sous le poids de l'air du temps, ils alimentent la désinformation, la propagande du choc et de la confrontation. Désespérés par des paralysies de la tradition, ils répètent que le seul mal vient du dedans de la religion et de la communauté. Ils préconisent l'alignement, le passage à l'Ouest sans conditions et la réforme des fondements. La réforme et le renouveau, sans l'ombre d'un doute, sont vitaux pour dépasser les pesanteurs qui assaillent et relever les défis. Cependant, ces «intellectuels» occultent les causes externes du repli et celles des violences aveugles, injustifiables. Tout comme ils feignent d'ignorer les buts de la guerre injuste, sourde et directe qui est en train de s'amplifier contre les musulmans. Pour tarir la source, il faut une pensée objective et corriger les dérives internes. Leur lecture historiciste et positiviste répond aux besoins de ceux qui s'inventent des ennemis et cherchent à faire diversion à d'autres problèmes du monde. La religion-refuge et les crispations identitaires, deux maux visibles et minoritaires de nos sociétés, et qui ont des causes diverses liées aux contradictions de notre époque et à l'archaïsme de certaines pratiques sociopolitiques des régimes en place, sont un prétexte pour ces courants, traumatisés, pour certains, par les effets de l'ignorance et de l'intégrisme, ou, pis, manipulés. Leur modèle est le laïcisme outrancier, le libéralisme sauvage et la permissivité, présentés comme condition du «progrès». Rares sont leurs critiques adressées au modèle dominant et aux dérives de la modernité. Tout comme est inexistante l'autocritique chez les groupes politico-religieux, de la fermeture qui instrumentalisent la religion, nuisant à ce qu'ils croient défendre et refusant de reconnaître les aspects positifs de la vie moderne. Ces deux mouvements de la fermeture et de l'apologie pour les uns et de la dépersonnalisation et de la dilution pour les autres, qui s'opposent, empoisonnent les relations entre les gens de culture et de religion différentes et tentent de tromper l'opinion publique. Alors que ce qui compte aujourd'hui dans le monde n'est pas d'être d'abord croyant ou incroyant, mais réside dans la capacité à s'ouvrir et être juste, sans imaginer détenir l'exclusivité de la vérité. L'immense majorité des musulmans ne se reconnaît dans aucune de ces deux tendances. Un message universel Les uns comme les autres tentent de faire croire à des contrevérités, pour des raisons différentes. Par exemple, que l'Islam serait incompatible avec la sécularité, la démocratie et la rationalité, alors que ces questions se posent autrement. Et l'histoire prouve que l'Islam, par-delà des vicissitudes, en tant que religion et civilisation, a généralement libéré les êtres qui s'y rattachent et permis leur élévation, sur nombre de plans. Aujourd'hui, la complexité de la réalité mondiale, les défis communs à tous les peuples, et plus encore pour le monde arabo-musulman mis sur le banc des accusés, devraient amener les intellectuels pertinents opposés au fanatisme, à l'arriération internes et aux menaces externes de recolonisation sous d'autres formes, à repenser les problématiques avec objectivité et humilité. Les musulmans ne sont pas dupes, fidèles à leur ligne de communauté médiane, ils aspirent à la liberté dans la dignité et à la spiritualité. Aucun matraquage médiatique, aucune propagande ni aucune force au monde, tout ensemble, aussi brutaux et hégémoniques soient-ils, ne peuvent venir à bout de la résistance morale des musulmans attachés à leur témoignage de foi, à leur patrie et souci d'authenticité. Résistance qui fait d'eux des dissidents. Et lorsque cette résistance, au lieu de mettre l'accent sur la démocratie interne, la science et la culture authentique, prend, au contraire, parfois, des formes aveugles, réactionnaires et néfastes, ils deviennent une cible facile. Tombant dans le piège de ceux qui, de toutes les manières, leur font la guerre, directe ou indirecte, comme la politique de deux poids, deux mesures, qui s'est instaurée; nouvelle norme de la loi du plus fort. L'Islam n'appartient pas qu'aux musulmans. Son message est universel et la différence est une richesse. Même s'ils ne prennent pas en considération les valeurs de sens que le peuple profond n'a pas abandonnées, valeurs opposées au matérialisme et au libéralisme sauvage et autres idéologies inhumaines, il y a lieu de lire et de dialoguer avec ceux qui traitent des problèmes des musulmans et de notre temps, pour apprendre à pratiquer l'autocritique, nuancer, prendre des distances et avancer. Certains combattent peut-être l'obscurantisme, ce qui est logique, mais, ils le font de manière qui affaiblit et discrédite cette légitime position et celle des sociétés du Nord, comme du Sud, car ils pratiquent l'amalgame et la stigmatisation. Ils subissent les limites et contradictions de la posture. Libre à eux. Pour certains qui critiquent, leur intention est saine, même si on diffère avec eux. Ils sont à la fois révoltés par les fous et les criminels qui ont usurpé la qualité de musulman et opposés aux archaïsmes de certains des régimes de nos contrées. On peut comprendre la cause de leurs critiques, mais non point leurs développements, partialités et errances. Il est nécessaire d'essayer de libérer le débat interne et international. L'islamophobie est en train de prendre des proportions alarmantes. Les discours et pratiques xénophobes et discriminatoires en ce qui concerne les minorités musulmanes en Europe, et celles qui visent la question de l'entrée de la Turquie à cet ensemble, et les menaces directes à l'encontre de l'Iran au sujet de son droit légitime à l'énergie nucléaire, sans oublier les tragédies palestinienne et irakienne, sont le reflet du délire et de la gravité de la situation. D'un autre côté, il est urgent de sensibiliser et d'éduquer nos coreligionnaires à la culture de l'ouverture, de la vigilance et du raisonnable, notamment ceux qui s'enferment dans le passéisme et le traditionalisme étroits, afin qu'ils honorent la vie, respectent la différence et ne donnent pas de l'eau au moulin des détracteurs de notre civilisation. Cela dépend sans doute de la réforme démocratique de nos systèmes politiques, sociétés, alpha et oméga de toute avancée réelle, sinon, l'avenir risque de se dérober pour tous. Nous avons besoin de tout le monde pour faire face, à la fois, au risque de dépendance chronique, de désordres, de remise en cause des acquis historiques du droit des peuples, de la déshumanisation qui menace et donc au retard en matière démocratique, sur le plan interne comme sur le plan des relations internationales. Nous devons tenter de dialoguer et de nous allier, de par le monde, avec tous ceux qui s'opposent aux injustices et à l'extrémisme d'où qu'ils viennent. Et partant, débattre avec la catégorie de citoyens du monde, les élites politiques et scientifiques, qui sont franches et ne jouent pas avec les valeurs humaines. Partout, la situation est grave et certains tentent de diviser pour régner. La cause du vivre ensemble et du droit à la différence est noble et juste. Pratiquons la vigilance, le dialogue et les alliances.