Les films parlant en tamazight sont rares. Rabie Benmokhtar a décidé de ne pas reculer devant la difficulté. Il nous replonge dans la magie des contes de grand-mère et des rites rogatoires. Le réalisateur Rabie Benmokhtar, pétri de culture populaire, en avait rêvé et finalement, il l'a fait: adapter les contes de Vava Inouva et de M'kidèche à l'écran. Et pour notre part, ce fut un réel plaisir, en cette soirée de Ramadan, d'aller apprécier ce film «deux en un» à la salle Ibn Zeydoun à Riadh el Feth. Quant au projet initial qui consistait à relier le conte de M'kidèche à la trame de la guerre de Libération, il a été abandonné en cours de route, le réalisateur s'étant probablement aperçu de la difficulté technique et thématique à traiter de sujets aussi différents. On rappellera que le premier tour de manivelle de ce moyen métrage, réalisé dans le cadre d'Alger, capitale de la culture arabe, avait été donné au mois de janvier passé au village de Moknéa, dans la commune d'Ifigha (wilaya de Tizi Ouzou) par son réalisateur Rabie Benmokhtar, de l'entreprise audiovisuelle Tin Hinan-films. En version tamazighte, sous-titrée en arabe, le film est une prouesse technique et artistique, mais aussi humaine puisqu'il a été tourné dans des conditions difficiles et avec des moyens limités. Rabie Benmokhtar a toujours eu une prédilection pour ce genre de contexte en allant chercher très loin ce que d'autres ont à la portée de la main. Créer un studio d'enregistrement dans un coin reculé de Yakouren, cela fait partie de ses défis. Son autre pari a été aussi de toujours vouloir travailler avec des amateurs. Tout en conférant une note de fraîcheur au produit, cela bien sûr peut réserver des surprises. Ce sont les risques du genre, qui a ses aspects positifs et ses côtés négatifs. Mais, apparemment, le metteur en scène assume ses choix. On voit des comédiens crispés, bleus de peur devant la caméra, à l'instar de la petite Taos qui joue dans Vava Inouva. En allant porter ses repas à son grand-père, retenu prisonnier dans sa hutte, par une colère de la terre, la petite fille ahane. C'est sans doute ce qui ajoute du charme à son jeu. Nul doute que ce petit prodige aurait besoin de six mois de tournage pour apprendre à être à l'aise devant la caméra. Les autres personnages du conte Vava Inouva sont tous un peu dans le même cas: ils déclament là où il aurait suffi de jouer naturellement. Et cela se sent. Arriver à être naturel, transmettre les émotions, cela demande tout de même quelque professionnalisme et des kilomètres de pellicule dans les jambes. En revanche, là où le réalisateur excelle c'est dans la reconstitution des personnages de l'ogre et de l'ogresse (terial et ouaghzen), ou ghoul et ghoula en arabe, avec force grimage et des costumes attrayants quoiqu'imaginaires. Le réalisateur a essayé de reconstituer à la fois les décors, les costumes et l'atmosphère de l'époque; une époque moyenâgeuse, qui précède la colonisation et pendant laquelle les villages vivaient dans une sorte de paradis perdu. A la fois bercés et stressés par une nature exubérante, envoûtante, mais aussi très capricieuse. Les hommes s‘adonnaient à la culture vivrière pour subvenir aux besoins de leur famille; l'agriculture et l'élevage représentaient l'essentiel de l'activité et des moyens de subsistance, ainsi que l'artisanat. Pour faire face à l'hostilité et aux maléfices, les hommes devaient faire preuve de courage et de malice. Alors que l'ogre et l'ogresse représentent à la fois la brutalité, la goinfrerie et la bêtise, il fallait à nos héros être à la hauteur en menant ce combat de David contre Goliath. Et toute la sagesse des traditions reposent sur ce principe: la sagesse autant que les nécessités de la vie. On peut tout de même regretter que M'kidèche, cueillant les figues, n'y mette pas l'art qui sied à cette pratique, faite de douceur et de respect au roi des fruits de nos montagnes, ni encore la manière de les ouvrir pour les déguster. On dirait qu'il n'a jamais cueilli de fruits de sa vie. Or, il en fallait à Mkidèche de la délicatesse et du savoir-vivre pour relever les défis d'un monde sauvage et d'un milieu hostile. On oubliait les miasmes de la vie en se laissant emporter par la douceur de la nuit, au coin du feu, pendant laquelle la grand-mère berce ses petits enfants en leur racontant des histoires dans lesquelles le merveilleux le dispute au rêve. C'est aussi une manière d'évacuer ses peurs ou ses excès d'adrénaline. En s'inspirant des contes du terroir, Vava Inouva et Mkidèche, pour nous replonger dans les imouchouhas qui ont bercé notre enfance, mais aussi pour essayer de déconstruire les mythes, vu que la réalité dépasse toujours la fiction, le metteur en scène s'est attelé à la réalisation d'un long métrage de fiction intitulé, mettant en scène un conte et une légende d'Algérie. Les contes véhiculent très souvent les valeurs morales anciennes qui ont forgé l'éducation et la force de caractère de nos parents qui, malgré les privations d'une existence très difficile, ont su mener une vie plus ou moins confortable. En plus de leur côté amusant, ces contes éduquent et éveillent l'esprit des enfants. Le premier film, la légende de Vava Inouva, sera raconté en restant fidèle à la structure du conte, soit une structure linéaire par le biais de laquelle on initie les enfants au déroulement d'une histoire: un début, un héros, les aventures du héros, les problèmes qu'il rencontre dans sa quête et le dénouement. Le scénario est écrit par Nasser Mouzaoui. Le deuxième film, Dans la nuit, dont le texte est signé par Raoui Abdelghani, est une adaptation des Aventures de Mkidech, dont le récit est raconté à une période et tout au long du récit de la grand-mère se greffent les remarques des enfants qui réagissent avec à propos et esprit critique (ils décortiquent ou détruisent peu à peu l'histoire). L'intérêt, en relieant ces deux contes dans une continuité dramatique unique, réside dans le fait qu'ils s'éclairent mutuellement puisqu'ils se fondent sur le même type de récit mythique. Le premier conte Vava Inouva relève de la poésie des légendes héritées de nos aïeux. Le second conte, Dans la nuit, tout en déconstruisant un récit fabuleux rejoint le premier dans la réhabilitation d'une morale pédagogique retrouvée. Plus prosaïquement, Vava Inouva met en scène l'histoire d'un vieil homme qui dérobe un morceau de viande au cours d'une fête rituelle en vue de faire tomber la pluie. Une réunion de tajmaât est décidée su-le-champ. Celle-ci a lieu dans la forêt. Au cours de cette assemblée a lieu une prière au cours de laquelle il est souhaité que le sol s'ouvre sous les pieds du voleur. Ce souhait est exaucé et le voleur voit ses pieds prisonniers du sol. Pour qu'il ne soit pas dévoré par les fauves ou par l'ogre, ses trois fils lui construisent une cabane. Et c'est la petite fille de son plus jeune fils qui lui apporte ses repas quotidiens. Celle-ci est, après plusieurs aller-retour, repérée par l'ogre. Il commence par dévorer le vieil homme. La petite fille surgit, comprend que l'ogre est dans la cabane en train de l'attendre. Elle bloque la porte de la cabane et court chercher du secours. Des hommes arrivent armés de hâches, de fourches, de gourdins et de pioches. Après avoir réfléchi, ils se disent que le meilleur moyen serait de mettre le feu à la cabane. Et c'est ainsi que meurt l'ogre après avoir dévoré le vieil homme. Quelque temps après, des roseaux poussent à l'endroit où la cabane avait brûlé; puis un berger passe. Il coupe les roseaux et se fabrique une flûte. Dès qu'il en joue ce sont les voix de la petite fille et du vieil homme qui se font entendre. Dans la nuit est l'adaptation d'un conte algérien bien connu des grands-mères de nos villages natals. Une petite famille tente de survivre en usant du pouvoir de l'imagination et des talents de narratrice de la grand-mère qui raconte à ses petits-enfants quelques-unes des Aventures de Mqidech, un héros populaire, malin, espiègle et qui, par moments, provoque la controverse. Concernant le choix du site de Moknéa pour le tournage de ce film, il a été est motivé, avait déclaré Rabie Benmokhtar à l'APS, par le fait que ce village «typiquement kabyl de par son architecture ancienne, offre un décor idéal pour la restitution des faits et des personnages de ces contes». Il est bon de rappeler que ces deux contes, très populaires, ont fait l'objet d'adaptation contemporaine soit dans le domaine de la chanson (par Idir pour ce qui est de Vava Inouva) et en BD (pour ce qui est de Mkidech).