Le plan de l'émir Abdallah est inspiré par l'Administration américaine. Les Arabes courent-ils derrière un mirage? La paix, la vraie paix, qu'elle soit la pax americana ou arabe, bénie par les vingt-deux Etats de la Ligue, est-elle réalisable face à l'intransigeance israélienne? L'initiative de paix de l'émir Abdallah se heurte, d'ores et déjà, à de nombreux obstacles, dont le principal réside dans les tergiversations de Sharon qui, en s'obstinant à humilier Arafat, humilie, du même coup, tous les chefs d'Etat arabes réunis à Beyrouth. S'il faut être deux pour signer la paix, il est visible qu'Israël n'a, jusqu'à présent, affiché aucune volonté réelle attestant de sa volonté de conclure la paix, sinon un armistice avec le camp arabe. En un mot, il n'est pas prématuré de dire qu'un large fossé sépare Arabes et Israéliens de la conception qu'ils ont de la construction de la paix. Sinon comment expliquer l'attitude obstinée de Sharon à maintenir assiégé Arafat dans sa résidence de Ramallah et l'empêcher de se rendre au Sommet arabe de Beyrouth? Le Premier ministre israélien n'oppose-t-il pas ainsi une fin de non-recevoir au plan de paix de l'émir Abdallah avant même que celui-ci ne l'expose devant ses pairs arabes? En persistant à lier le départ d'Arafat à Beyrouth à son acceptation des conditions drastiques de cessez-le-feu qu'il veut, coûte que coûte, lui imposer, sous la houlette du médiateur américain, Anthony Zinni, Sharon veut créer un fait accompli pour les Palestiniens, auquel il sera difficile aux Arabes de ne pas souscrire. Sharon exige d'Arafat qu'il renonce clairement au choix sacré de la résistance armée qu'il assimile, ni plus ni moins, au terrorisme. Une telle option est irrecevable. Elle met en péril l'avenir même de la cause palestinienne. Sharon est persuadé, en son for intérieur, que le leader palestinien n'est pas homme à brader les intérêts de son peuple et à céder à ses pressions. Sharon joue et fait coup double: il neutralise Arafat et fait savoir du même coup aux Arabes qu'il ne sera pas, lui, le Premier ministre israélien qui acceptera de restituer aux Arabes leurs territoires occupés et de faire d'El-Qods oriental la capitale du futur Etat palestinien. Ce qui surprend les observateurs, à quelques heures de l'ouverture de ce sommet, est l'attitude de louvoiement de Washington à l'égard d'un projet de paix qu'il a pourtant soutenu au départ. Les Américains et les Israéliens se sont-ils entendus pour arracher le maximum de concessions à Arafat en maintenant leurs pressions jusqu'à la phase ultime, c'est-à-dire ce matin, jour d'ouverture du sommet? Arracher de lourdes concessions à Arafat, pour ensuite vider de sa substance le plan de paix arabe concocté par l'émir Abdallah, est, vraisemblablement, l'objectif poursuivi tant par Washington que par Israël. Le plan de l'émir Abdallah est inspiré par l'Administration américaine. C'est un journaliste du Washington Post, Thomas Friedman, qui a été le premier à avoir d'abord exposé cette esquisse de paix avant qu'elle ne soit reprise par Riyad. Les Saoudiens ont accepté donc de parrainer ce projet de paix et de le faire entériner par les pays arabes avec les encouragements des Etats-Unis. Pourquoi avoir choisi les Saoudiens pour lancer cette nouvelle initiative de paix? Hormis l'influence politique incontestable de l'Arabie Saoudite à travers tout le monde arabe, il y a surtout son poids spirituel et religieux en tant que gardien des Lieux Saints. Autrement dit, il ne s'agit pas seulement de faire adhérer 200 millions d'Arabes à cette option de paix, mais près d'un milliard de musulmans et d'abattre ainsi des barrières psychologiques opposant juifs et musulmans depuis des millénaires. Sur cette terre de Prophètes où l'on n'a pas cessé de confondre Moïse, Jésus-Christ et Mohammed, pourquoi la tolérance peine-t-elle tant à gagner les coeurs des belligérants? Le Sommet de Beyrouth demeurera certainement dans les annales de l'Histoire. La question est de savoir s'il y entrera par la grande ou la petite porte? Un coup de théâtre de dernière minute peut survenir avec l'arrivée à Beyrouth de Yasser Arafat, malgré la mise en garde que lui a adressée le président égyptien, Hosni Moubarak, de ne pas quitter Ramallah sous peine de ne pas y retourner. Même si le pessimisme commence à gagner en ampleur à Beyrouth, l'on n'exclut pas que Washington, saisissant le danger de voir le projet de l'émir Abdallah torpillé, réajuste son attitude en s'engageant à assurer le départ, mais aussi le retour, d'Arafat en Palestine, en mettant à sa disposition un avion en dernière minute. L'ombre d'Arafat hante déjà les lieux du Sommet arabe de Beyrouth.